Cétait ce jeudi, je me souviens très bien, il faisait très beau laprès-midi. Le ciel était clair, avec néanmoins quelques nuages clairsemés. Je métais dit quil fallait en profiter. Ce nest pas évident davoir un jardin, il faut sen occuper, et parfois, ça peut tourner à laigre. À lhorreur, même. Je naime pas les films dhorreur, surtout lorsquils sont gore.
Au milieu du jardin se dresse un yucca. Je ne sais pas si vous connaissez ça, le yucca. Cest un drôle de nom, une drôle de banque. Une drôle de plante. Une drôle de planque. Une véritable HLM pour escargots. Un repaire daraignées aussi. Un yucca, ça ne sert à rien. Pas même à être joli. Tenez, il ne fleurit jamais. Enfin, non, je dis jamais, mais en fait, cest plutôt de façon très rare et aléatoire. Et ça a des racines tentaculaires, quil est impossible de déloger sans faire appel à une pelle mécanique.
Et puis, un yucca, cest intelligent. Non seulement ça pense, mais ça écoute. Tiens, il y a quatre ans, alors que je le trouvais très moche, javais émis la pensée hypothétique denvisager à moyen terme de lévacuer définitivement. Quelques semaines après, alors quil ne lavait pas fait depuis des années, il fleurit. Jai succombé, je lui ai laissé la vie sauve. Il ma eu par séduction et esthétisme.
Alors, je suis devenu coiffeur. Ses longues feuilles, élancées et piquantes, sortent en corolle et prennent un volume de plus en plus imposant au fil des mois et des années. Cest même un véritable danger pour les yeux des enfants qui courent. Alors, parfois, il faut tailler dans le vif du sujet.
Cétait justement jeudi dernier. Je métais dit que le soleil faisait bien laffaire. Jai pris mon petit sécateur à long manche et jai commencé à couper à la naissance des feuilles. Cest à ce moment-là que jai senti que tout basculait. Que rien nétait normal. Que même le soleil qui brillait était du complot pour mépouvanter.
À chaque coupe, jai dabord entendu un petit cri. Oh, au départ, je nai pensé à rien. Jai cru que des oiseaux allaient et venaient. Jai cru que les limaces grondaient et que les escargots rouspétaient. Mais de plus en plus sournoisement, le râle devenait sourd, lourd, grave, lancinant. Lancimant. Lent ciment.
Soudain, la vision dune petite chatte hystérique obstrua mes rétines. Et les oreilles. Le cri, la rapidité du mouvement. Et la texture de ma peau. Je nai pas compris au début. Jai regardé mon bras gauche et il exposait une magnifique écorchure dune vingtaine de centimètres. Profonde au point douvrir les digues du sang qui sécoula bruyamment jusquau creux de ma manche.
Comment était-il possible que cette chatte nerveuse ait pu, si rapidement, me griffer sans que je ne laperçusse. Ni que je le susse. Ni avant, ni après. Pourtant, cétait bien une chatte.
Nimaginant pas le danger fatal qui me guettait, je me remis à laffaire, au labeur de ma taille. Ce nétait alors plus des râles mais une sorte de bruit du fouet qui claquait dans les airs que jentendis. Et sentis. Car mon bras encore sanguinolent poursuivait sa tragédie. Une seconde écorchure toute aussi vive sajouta à la première. Le mal devenait conscience. Je navais pas affaire à une chatte hystérique.
Les feuilles du yucca se rebellaient. Non, le yucca lui-même se rebellait. Mis en colère par mes lacérations aératoires, la plante grossit de volume comme un chat hérissant tous ses poils.
Ses feuilles étaient autant de bras dune pieuvre infernale prête à tuer pour continuer à évoluer, à se développer, à vivre. Chaque extrémité devenait un missile à détection humaine prêt à empaler chacun de mes pores, prêt à me bombarder en pleine figure.
Jai pris alors une faux et jai voulu lachever. Ce fut le début de mon agonie. Il allongea ses longs tentacules, les élargit et me happa.
Je fus enveloppé, malaxé, broyé au centre de la bête infernale.
Je nai même pas eu le temps de pleurer.
Je nai même pas eu le temps de souffrir.
La douleur était si soudaine, si aiguë, que jen ai perdu la voix.
Que jen ai perdu la vue.
Que jen ai perdu la vie.
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