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Pic apéritif par PoinG

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C’était un bâtonnet en bambou, taillé en pointe d’un côté, une boucle à l’autre extrémité. Bizarrement il s’attacha à ce bout de bois. Il s’identifiait à ce concept bi directionnel : d’un côté je pique et confabule, de l’autre je la boucle et me retourne sur moi-même. Il gardait ce fétiche dans la poche arrière de son jean, l’élasticité naturelle du bambou se pliait aux mouvements du fessier. Il était peu à peu devenu ce double sens comme d’autres vivent une double vie. D’un côté ça l’excitait, de l’autre il ne se compromettait et entre les deux, le bois restait lisse, doux et ne cassait jamais. Ni les burnes, ni la tête, ni les pieds. Il fallait juste faire un peu attention, ne pas se prendre les pieds dans cette illusion, au sens de ne pas se trahir, ne pas briser ce bréchet de bois vert, un faux pas pourrait anéantir cette belle élasticité contrastant avec les douleurs qu’il rencontrait au saut du lit. Allumer devint un jeu d’enfant. Il y retrouvait le plaisir subversif et innocent du bambin jouant avec les allumettes. Les femmes ne manquaient pas et tout ce qu’elles attendaient, c’était d’être séduites. Tel un des chevaliers du subjonctif d’Orsenna (« Le subjonctif, c’est le mode des fous de liberté, de rêves et de désirs »). Il se forgea un discours au burin et l’entraina comme on croise le fer avec des épées de bois, se dessina une côte bien taillée, pas rouillée pour un clou. Puis il entra dans l’arène du virtuel, il serait le chevalier de la logorrhée, insatiable et d’une juvénile constance, le doigt posé sur la volatilité comme sur le bouton rouge: échappatoire en cas de danger. Il avait tant de choses à dire à ces donzelles, peut-être même au monde entier. Le monde savait-il qu’il existait ? Cette posture chimérique lui était plus confortable que celle d’avoir existé, de n’avoir que des souvenirs à croquer. Il déplaça la victoire de quelques pas en arrière. Son objectif n’était pas de botter en touche, il se contenterait d’être sélectionné, il laissait s’entrebâiller les portes du possible, sans pour autant avoir l’intention d’y entrer. Être apprécié pour celui qu’il avait créé, fabriqué à l’aune de ses propres côtes, lui suffirait. Peut-être cueillerait-il quelques confidences juteuses, comme des cerises sur des gâteaux crémeux lui procurant une satisfaction digne d’un strike au jeu de quilles. On aurait dit un Guillaume Tell dont la flèche resterait indéfiniment suspendue en l’air, n’atteignant jamais la cible d’une réalité trop affligeante. C’était son divertissement, sa façon de passer le temps comme grignoter des zakouskis pour s’ouvrir l’appétit sans intention de se mettre à table. Et puis un jour il mourut. Le jour de son enterrement, une femme s’est approchée du trou et lança dedans l’équivalent d’une ramette de papier A4. Les feuilles s’éparpillèrent et furent recouvertes par les poignées de terre. Après la cérémonie, je la rejoignis, mue par la curiosité. Elle accepta de prendre un café et de tout m’expliquer. Elle avoua avoir poursuivi cet homme d’un site de rencontre à un autre, ils ne s’étaient jamais rencontrés, elle n’en avait jamais éprouvé le désir. Puis après avoir parlé comme si cela la soulageait, elle finit « Mais il n’a jamais deviné que toutes ses conquêtes n’étaient jamais qu’une seule et même personne » et son regard s’éclaira comme celui d’un enfant qui vient de gagner la partie.

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