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Obsolescence programmée par Jules Félix

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Soixante-seize ans. Diable, c’est beaucoup, ce qu’on m’attribue. Pourtant, je n’ai absolument pas l’impression d’avoir dépassé depuis longtemps le seuil de sénescence (les spécialistes venus d’on-ne-sait-zoù évaluent le début de la sénescence entre soixante et soixante-quatre ans, méfiez-vous d’où vous mettez vos futures bougies d’anniversaire). Bon, c’est vrai que du côté des bijoux de famille, c’est le calme plat. Le plat pays, qu’on pourrait même dire. Que sauf miracle de la médecine moderne, ce n’est pas demain que la descendance piaillera dans mes zoreilles. Piaffera, j’oserais dire. Enfin, biologiquement parlant, parce que j’ai de la descendance, de la belle descendance. Cette petite jeunette, par exemple, que j’ai prise sous mon aile. À l’époque, elle n’avait que quelques années. Je lui ai tout appris. À ne pas se pencher par la fenêtre. À ne pas mettre les coudes sur la table. À se laver complètement même quand maman n’est pas là. Eh bien, maintenant, elle est une belle jeune personne, à la chevelure longue et épaisse, adepte de la French-manicoure. Belle, mais avec une obésité naissante. Elle glande trop à la maison, cette fille. Pas assez d’exercice. Elle a plus de trente ans. Pas loin de trente-cinq même ! Déjà ! Comme le temps passe vite. Quelle misère que cette accélération toute einsteinienne. Si seulement on pouvait vivre à la vitesse de la lumière, ça ralentirait un peu l’existence. Chaque fois que je la revois, ses yeux s’illuminent. Elle reste toujours un peu intimidée. Je suis l’autorité. Et j’ai mes caprices. Mais elle n’hésite pas à jouer avec moi. Elle est même capable de subtiliser mes clefs de voiture et de faire un bout de chemin à ma place. Elle serait même prête à s’interposer si mes ennemis voulaient m’occire. Tiens, j’avais aussi cet horrible adolescent. Un gosse sans gêne, pas mal élevé mais élevé dans la doctrine laxiste qui veut que les enfants, ce sont des petits objets précieux qui doivent avoir toujours raison. Quand on s’extasie devant leurs petits exploits, c’est normal qu’on ne puisse jamais rien obtenir d’eux, car tout leur est permis. Je l’avais accueilli alors qu’il avait dans les vingt ans. Un jeune homme plein d’énergie, de dynamisme. C’est moi qui lui ai appris à parler. Il sait, grâce à moi, dire merci ou bonjour. En revanche, il n’a jamais compris que je n’avais plus son âge, que les chahuts, ça allait bien deux minutes, mais pas deux heures. Eh bien, maintenant, il se fait appeler pépère. Ce n’est pas pour rien. Pas par paternité (il est contre la surpopulation et refuse obstinément d’avoir une copine), mais parce qu’il a maintenant vingt-neuf ans et qu’il fait comme les jeunes de son temps, il glande à la maison. Résultat, il s’est pris la moitié des kilogrammes en trop. Il n’a pas l’air gros encore, car il est solide et costaud, mais il a des petites jambes et paraît un peu renégat (c’est un vil lâche, j’ai raté mon éducation sur le plan des principales valeurs : courage, bravitude etc.). Un qui ne sera jamais obèse, c’est ce jeune homme encore bien élancé de trente-cinq ans. J’avais cru qu’il était plus costaud que moi mais c’était une erreur d’illusion optique. Sa coiffure un peu des années 1970 (genre cheveux tout ébouriffés) lui donnait un semblant de musculature qu’il n’avait en fait pas. Lui, il passe sa vie dehors, à faire de l’exercice. Il adore le sport. En revanche, j’ai déjà voulu le tester sur le plan intellectuel, c’est une burne. Ne serait même pas capable d’attraper des points au test des bidasses à l’époque du service militaire. Mais, bon, c’est un sympathique convive. Il ne se bat jamais, il est fidèle en amitié, je l’adore, il m’adore un peu moins, mais je ne peux pas lui en vouloir, moi le croulant. J’ai bien sûr quelques ennemis. Tiens, ce jeune blanc-bec, enfin, ce rouquin. Je n’ai rien contre les taches de rousseur. Juste contre les taches. Celui-ci, il a trente-quatre ans, et je deviens rouge de colère dès que je le vois. Maintenant, il m’évite. Tant mieux. Je suis d’humeur pacifique. Ah, il y a aussi celui-ci, aux cheveux noirs bien lisses, les yeux en amande, hyper-timide. Il a maintenant vingt-cinq ans mais au début, j’étais terrorisé. Ou plutôt, traumatisé. Je ne comprenais pas ce qu’il se passait. Je crois qu’il est homo. Ce n’est pas grave, mais ça me mettait en gêne. Il me reluquait dès sa puberté. Heureusement, j’ai vite compris qu’il était inoffensif. Incapable de se servir d’une seule arme. C’est un doux, un tendre, un pacifique aussi. Du coup, c’est aussi un copain. Mais il sera toujours malheureux, le pauvre gars. Son milieu est trop machiste pour lui. Et des vraies femmes ? Ah oui, j’en connais bien une. Elle grimpe même aux arbres comme aux rideaux, histoire de se rapprocher du septième ciel. Pourtant, elle doit déjà avoir une bonne quarantaine d’années, à mon avis. Ou même quarante-cinq ans. Elle aurait pu avoir le pedigree parfait pour devenir ma maîtresse. Mais elle est devenue obèse. Et elle refuse obstinément le contact. Zutalors ! Et puis une autre. Celle-ci n'est pas drôle du tout. Elle a soixante-dix-huit ans, ultra-mince, une silhouette de mannequin anorexique. Mais une grande souplesse, elle saute sur tout ce qui bouge. Elle a l'esprit à la limite d'Alzheimer mais son corps est d'un effroyable dynamisme. Elle me fait peur chaque fois que je la croise. Elle a une voix épouvantable de poissonnière. Elle m'insulte comme du poisson pourri. D'ailleurs, elle sent le poisson pourri. Est prête à m'envoyer balader pour un rien. J'essaie de l'éviter, franchement. Pourtant, elle est très belle. Pas glop. Alors, c’est vrai, j’ai parlé de certains qui glandaient et on pourrait me demander : et toi, ne glandes-tu pas ? Eh bien non, justement. Car je fais beaucoup de sport. C’est peut-être le privilège des retraités de pouvoir faire ce qui leur plaît. Ainsi, pas de stress inutile (bon, en fait, si, je stresse pas mal quand je crois quelques voyous dans la rue, ceux qui ne respectent rien, pas même les vétérans). Je multiplie ainsi mes activités sportives. Je fais de la chasse à courre. Je fais régulièrement du sprint. Du saut en hauteur. Je jardine aussi, c’est très bon pour la santé et la durabilité de la vie. Je fais enfin du yoga qui me permet d’acquérir une très grande souplesse et d’être superdétendu. Du coup, j’ai pu éviter l’embonpoint qui se pointait à l’horizon de mes rétines. Donc, oui, septuagénaire, mais toujours aussi pétillant de vie. Certes, mes cheveux ont un peu blanchi. Ma peau s’est un peu tannée au fil des années. Mais je reste toujours aussi frétillant, le même qu’à l’époque de ma jeunesse, tout prêt à recommencer des zaventures avec toutes les perverties du monde. (miaou) http://www.pointscommuns.com/c-commentaire-lecture-82159.html http://www.pointscommuns.com/c-commentaire-lecture-98881.html

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