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Ces jobs inutiles par Claudebonhomme0

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Le 11 septembre dernier, le magazine Challenges a peut-être voulu célébrer, avec l’humour qui le caratérise, le dixième anniversaire d’une brutale réduction de personnel : il a publié un petit papier intitulé : Ces jobs inutiles dont les entreprises se passeraient bien. http://www.challenges.fr/management/20130911.CHA4158/ces-jobs-inutiles-dont-les-entreprises-se-passeraient-bien.html L’article a été écrit par Madame Laure Emmanuelle Husson et mérite d’être cité. « "These are what I propose to call 'bullshit jobs' " (c'est ce que je propose d'appeler des "jobs à la c..."). David Graeber, anthropologue et anarchiste américain n'y va pas avec le dos de la cuillère. Dans une tribune publiée le 17 août dernier et intitulée "Du phénomène des jobs à la c...", il critique fortement les métiers de services qui, selon lui, n'ont d'autre utilité que d'occuper autrui et lui éviter le chômage. Ce n’est pas tous les jours que le magazine Challenges fait la publicité d’un anarchiste. Certes, il est aussi « anthropologue et américain » . Mais on verra que Laure Emmanuelle « n'y va pas avec le dos de la cuillère » non plus. « Dans son collimateur, les professions rattachées aux ressources humaines, au management, aux relations publiques, à l'administratif, au conseil ou encore à la finance. En somme, toutes les fonctions appelées "supports" qui participent de manière non directe à la création de valeur dans une société. David Graeber les oppose aux "emplois productifs", directement liés à la fabrication et la commercialisation des biens. » En réalité, le propos de David Graeber est un peu différent. Si on prend la peine de lire le texte qu’il a écrit au mois d’août, on comprend un peu mieux son point de vue et le postulat qu’il exprime dès la première ligne : « En l'an 1930, John Maynard Keynes a prédit que, d'ici la fin du siècle, la technologie aurait suffisamment avancé que des pays comme la Grande-Bretagne ou les Etats-Unis seraient parvenus à une semaine de travail de 15 heures ». Puis il se demande pourquoi l’utopie de Keynes ne s’est jamais réalisée. Parce que, dit-il en substance, le choix a été fait de consommer plus, pas de travailler moins : « Le dommage moral et spirituel qui découle de cette situation est profond. C'est une cicatrice sur notre âme collective. » On voit que le point de vue de David Graeber n’est pas très éloigné de celui de Paul Lafargue quand il écrivait son Droit à la paresse en 1883 : il est historique, politique et même moral. Mais ce n’est le point de vue qu’adopte Laure Emmanuelle. En effet, elle pourrait considérer la situation de la France ; rappeler que, il n’y pas si longtemps, un candidat à la Présidence de la République fut élu en proposant à ses électeurs de « travailler plus pour gagner plus » ; que, pour ses partisans, l’abrogation de la loi des 35h aurait permis d’éviter la défaite du président candidat cinq ans plus tard ; et que la nouvelle majorité n’en finit pas de parler de compétitivité. Elle préfère aborder la chose du point de vue du management d’entreprise, et du management des ressources hummaines, en particulier. Ainsi, le titre qu’elle donne (ou qu’elle a laissé son manager donner à son papier : Outre leurs coûts, les fonctions supports (RH, administratif, comptabilité...) nuiraient au bon fonctionnement des entreprises. C'est ce qu'affirment certains experts, avec des arguments chocs. On remarquera l’emploi du conditionnel pour parler de l’emploi des ressources humaines. Son article est divisé en deux parties : - Le sentiment d'être inutiles (un constat désabusé ?) - Il est possible de supprimer toutes les fonctions supports (une conclusion abusive ?) Le constat désabusé, c’est l’anarchiste américain qui l’exprime en ajoutant : « « Qui es-tu pour dire ce que sont les emplois vraiment « nécessaires « ? Ce qui est nécessaire de toute façon ? Vous êtes un professeur d'anthropologie, quel est le « besoin » de cela ? "(Et en effet, beaucoup de lecteurs tabloïd prendraient l'existence de mon travail comme la définition même des dépenses sociales inutiles.) Si Laure Emmanuelle s’est posé la même question au sujet de son emploi de journaliste de Challenges, elle n’en dit pas un mot. Et comme elle ne travaille pas dans un tabloïd, elle donne la parole à un Français, expert en management des ressources humaines : « "Les services supports ne servent qu'à créer des contraintes pour justifier leur place. Ils rendent tout le monde malheureux. Ils constituent une plaie pour les entreprises", dénonce Jean-François Zobrist, expert auprès de l'association pour le progrès du management et auteur de livres. » Cela commence aussi par un constat qui a déjà été fait par de nombreux salariés, même s’ils le formulent un peu différemment quand ils ont les mots pour le faire. Mais la journaliste emploie le verbe « dénoncer » pour définir le résultat de l’expertise de Jean-François Zobrist, dont elle dit qu’il est aussi « auteur de livres ». Comme « journaliste », « expert » et « auteur de livres », ce sont peut-être des « jobs inutiles » , selon la formulation de Challenges (des « jobs à la con », « Bullshit Jobs », selon la formule de l’anarchiste qui est bien peu respectueux). Aussi, elle tient à préciser que son expert, loin d’être un agitateur un peu agité, est « Cet ancien directeur de Favi, leader mondial en fonderie sous pression d'alliage cuivreux » (…) et qu’il « parcourt la France entière pour expliquer comment il a supprimé l'ensemble des fonctions supports dans sa société. "Nous n'avons que des ouvriers, des commerciaux et 8 personnes qui s'occupent de l'administratif pour une entreprise qui a compté jusqu'à 600 salariés (400 aujourd'hui ndlr)", raconte-t-il. » « Raconte-t-il », dit-elle, comme s’il racontait des histoires, cet expert ! Et sa rédaction se croit obligée de rappeler entre parenthèses que le nombre de ses salariés est passé de 600 à 400. La difficulté est de définir les « fonctions support ». L’ancien directeur devenu expert ne dit pas ce qu’il a fait des différentes couches de management, de quelle façon s’est déroulée l’érosion des couches inutiles. Dans une entreprise de moins de 1000 personnes, les armées mexicaines ne peuvent prospérer abusivement. Mais dans les grands groupes, qu’ils soient publics ou privés, peuplés de fonctionnaires ou non, la situation, on le sait, est différente. Les « fonctions support », selon le titre de l’article de Challenges, ce sont d’abord les RH, les administratifs, la comptabilité… Mais quand Jean-François Zobrist affirme qu’elles « ne servent qu'à créer des contraintes pour justifier leur place » , ne parle-t-il pas plutôt des différentes couches de management, surtout du « middle management » ? Les fonctions officielles de ces « managers » sont de manier, de manipuler, des chiffres et de rappeler des process, mais leurs fonctions réelles sont de se montrer de fervents supporters inconditionnels de leur entreprise, de son esprit et de sa culture. Un autre expert cité par le magazine conseille les entreprises « pour réduire le poids de la hiérarchie et des fonctions support ». Il le dit presque crûment : "De plus en plus de patrons le demandent car ils se rendent compte que ça coûte très cher pour une valeur ajoutée limitée". Et pour finir, il déplore : "Il faut accompagner les entreprises vers plus de discussions et moins de reporting. Aujourd'hui les managers intermédiaires passent leur temps devant Excel à remplir des tableaux plutôt que de parler à leurs collaborateurs car en entreprise, on considère que discuter n'est pas du travail".[i] Les deux experts ne sont pas tout à fait d’accord. L’un raconte, l’autre déplore. Et Laure Emmanuelle ? A-t-elle le sentiment d’être inutile et envisage-t-elle de mettre fin à sa fonction de « supporter » inconditionnel de l’entreprise,de son mythe et de son idéologie ? Pour aller plus loin, comme on dit dans les journaux, on peut conseiller la lecture de quelques livres, Le droit à paresse (déjà cité), Travailler deux heures par jour et La gauche n’a plus droit à l’erreur où Michel Rocard et Pierre Larrouturou plaident pour la semaine de quatre jours (il faut bien commencer). http://lentreprise.lexpress.fr/management-ecologique/pierre-larrouturou-la-gauche-doit-aujourd-hui-passer-au-plan-b_38144.html [i] « Enseignant-chercheur à l'INSEEC, Damien Richard réalise des missions de conseil en entreprises pour réduire le poids de la hiérarchie et des fonctions support. "De plus en plus de patrons le demandent car ils se rendent compte que ça coûte très cher pour une valeur ajoutée limitée". Pour lui, il y a un véritable enjeu à "redonner du sens à la notion de métier". Selon lui, il y a trop d'"organisations", c’est-à-dire de strates hiérarchiques qui empêchent un fonctionnement agile de la société. "Il faut accompagner les entreprises vers plus de discussions et moins de reporting. Aujourd'hui les managers intermédiaires passent leur temps devant Excel à remplir des tableaux plutôt que de parler à leurs collaborateurs car en entreprise, on considère que discuter n'est pas du travail", déplore-t-il. Et de montrer l'exemple de Google qui n'a quasiment pas de fonctions support, très peu de niveaux hiérarchiques et qui néanmoins connaît la réussite. »

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