Elle entendit au loin une voiture approcher. Il allait arriver, le chien allait filer à la porte pour l'accueillir. Hélène repose son livre, débarrasse la table basse de son plateau et met son bol dans le lave vaisselle. Cela fait, elle s'apprête à lui dire bonsoir dès qu'il ouvrira la porte.
Sans en avoir parlé, tacitement, il rentre toujours avant qu'elle ne monte se coucher. Quelques minutes après, elle rejoint la chambre tandis qu'il reste en bas et allume son ordinateur. Il passe toujours quelques temps dans son bureau avant de la retrouver, dans leur lit, au pays des songes.
La voiture ne s'arrête pas. Il est encore sur le chemin bien qu'il soit passé minuit.
Bien sûr les soirées ne se ressemblent pas toutes. Il leur arrive, de temps à autre, de partager des tête-à-tête autour de la table, même s'ils sont rares maintenant que les enfants ont leur propre foyer. Par contre, jamais il ne déroge à un repas familial ou à une obligation sociale. Cela fait quelques années maintenant que cela s'était mis en place. Il avait fallu que les rouages s'affinent dans cette évolution qu'ils n'auraient jamais imaginée ou crue possible au moment de leur union.
Le temps était passé et ils n'avaient pas réussi à se déjouer de l'habitude. Fougueux et intrépides, ils s'étaient peu à peu transformés en adultes responsables puis en parents attentifs. Etait arrivé un moment où elle avait eu de moins en moins envie de lui, puis plus du tout. Ce n'était pas qu'elle ne l'aimait plus mais la tendresse avait supplanté toute envie charnelle. Elle ne le désirait plus physiquement, alors elle l'avait peu à peu repoussé, n'arrivant plus à se forcer pour lui faire plaisir. Elle l'avait rabroué de plus en plus, lui demandant de la laisser tranquille, d'aller voir ailleurs.
Il n'avait pas compris ses rebuffades et mis du temps à accepter que cette situation s'éternise. Et puis un jour, il avait pris pour argent comptant ce qu'elle lui renvoyait en pleine face... Il avait recherché quelqu'un pour partager des parenthèses, ne voulant pas malgré tout se séparer d'elle car il l'aimait toujours. Et il rentrait toujours avant qu'elle ne s'endorme. Là pourtant deux heures viennent de sonner.
Elle ne lui demandait rien de ses absences. Elle en savait plus que ce qu'elle aurait aimé savoir. Des cheveux d'une autre couleur, un parfum, une rougeur sur son visage, un éclat particulier. Elle ne voulait pas qu'il voie que ça lui vrille le cur. Elle savait bien que sa jalousie non contrôlée était hors propos. Mais malgré tout, celle-ci se faisait tenace et lui suggérait qu'un jour il partirait. Elle se méfiait des parfums persistants, de ceux qui tenaient plus de quelques semaines. Les parfums volages la rassuraient. Récemment elle n'a rien remarqué d'inquiétant mais il est trois heures.
Toujours en fin de soirée il rentrait, aussi elle ne lui en parlait pas. Cela l'avait soulagée qu'il ne soit plus derrière elle même si elle aurait préféré qu'il y renonce. Bien sûr cela lui passerait un jour, quand il aurait un peu vieilli. Il fallait faire preuve de patience. Et ils continueraient ensemble jusqu'au bout pour le meilleur, ils se l'étaient promis. Jusqu'à quand devra-t-elle encore attendre ? La nuit s'achève.
Le temps l'a pris en traître. Car la situation perdure depuis quelques années. Pourquoi ce soir n'est-il pas rentré ? La nuit blanche ne lui porte pas conseil... Doit-elle s'outrager de ce manquement ou accepter naturellement son faux prétexte ? Ne risque-t-elle pas ainsi à lui donner plus d'importance ?
Le chien se précipite dans l'entrée. Il est huit heures, il vient d'arriver. Il est là devant elle et commence à lui parler. Elle n'entend pas vraiment, elle saisit sa fébrilité, elle est comme anesthésiée. Il est parti se changer pour le travail, le voilà qui redescend avec une valise.
Elle n'a pu se retenir de protestations et de larmes, de jurer contre le démon de midi qui emporte les hommes passé la quarantaine, oubliant les années ensemble, les enfants, les liens du quotidien. Elle pressent déjà les jours de souffrance à venir.
Elle entend la voiture s'éloigner, le chien courir derrière. Elle se retrouve seule.
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