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Procrastination par Annaconte

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Ivan Illitch avait eu pourtant toute sa vie pour y songer. Mais nous le savons bien, nous sommes tous pareils. Ce n'est qu'au dernier instant qu'on réalise qu'on n'a rien préparé. Alors soudain, faut se manier le fion, et vite, tout organiser. Je ne parle pas de la nouvelle frénésie, (bien orchestrée faut le dire par les Assurances - Obsèques Vivaplus, les Pompes funèbres Lotus et bouche cousue, et autres Assistances, Mutuelles et Cie) qui nous contraint désormais à préparer en cotisant, nos très (et doublement) chères funérailles et à faire savoir de manière impudique et glorieuse à nos enfants que nous leur éviterons ainsi la corvée de régler la note à l'échéance, et le souci de choisir pour nous entre le chêne et le sapin ou bien la couleur de l'urne pour le tas de cendres, et leur rendre plus légères les tracasseries d' une célébration à laquelle nous ne pourrons pas vraiment participer même si nous risquons d'en être la vedette principale. Non, non, fi de ces considérations purement matérielles, quand il s'agira surtout d'Immatériel ! je parle de préparer sa mort soi-même, ou plutôt de SE préparer à SA Mort, nuance ! comme pour une rencontre, comme pour un rendez-vous, bien à l'avance. Comme un sportif s'entraîne pour la course ou le match de sa vie, comme un artisan ferraille dans son atelier. Car cela ne s'improvise pas de mourir. C'est d'ailleurs et certainement pour cette unique raison que la vie nous a été ainsi donnés, avec toutes ces années, ces mois, ces semaines, ces jours, ces nuits et ces minutes, ... pour étudier le sujet. Ou pour apprivoiser l'objet. Non, non, mourir ne s'improvise pas ! Il faut bien calculer son coup. Parce que mourir sur un coup de sang ou un coup de tête ce serait vraiment trop facile ! Si l'on veut sortir de scène sous les bravi et les applaudissements, il faut quand même un minimum ! Choisir le bon moment pour tirer le rideau, c'est essentiel ! Ivan Illitch avait négligé ce détail. Sa belle trajectoire d' homme parvenu, parvenu au faîte de sa carrière, et de sa réussite, au faîte du pouvoir ! sûr de lui, de sa fonction, de son influence...de son argent, de sa famille même, en bref, tous les ingrédients attestant d'une vie comblée et magnifique, tout cela avait recouvert d'or et de paillettes ce petit mais ultime détail : sa propre mort. Bien mourir en effet n'est pas tâche aisée, et il faut s'y coller tôt -ou tard-, sous peine d'échouer lamentablement ce dernier saut périlleux. Ivan Illitch n'avait rien vu venir. Comme beaucoup d'entre nous. Plus belle sa vie en somme ! Il n'avait pas songé une seule minute au dernier tableau. D'un, Ivan Illitch ne se sentait guère concerné, de deux, le temps de toutes façons, lui aurait manqué. C'est ainsi qu'il n'avait pas cru bon d'anticiper -ne serait-ce qu'un peu- le moment, l'heure , le lieu, et la manière (ne parlons même pas de l'Art). Ni l'épitaphe d'ailleurs, pourtant dernier gage de son passage ici-bas. Comment avait-il pu ainsi passer sa vie, et la laisser passer, sans qu'un seul instant, cette perspective n'effleura son esprit pourtant d'ordinaire si prévoyant ? Ivan Illitch soudain se réveilla. Il lui avait bien fallu vivre tout de même avant de mourir ! C'est ce qu'il avait fait et bien fait. Du moins le croyait-il. Il avait même cru que cette vie là, qui avait été la sienne, si importante, si bien remplie, durerait toujours. Et ferait de tous l'admiration. Pour la postérité. Mais de CE moment précis, singulier et inédit, rien. Il n'avait RIEN anticipé. Il était malade désormais. Une mauvaise chute en bricolant chez lui dans son salon. Puis l'engrenage. Les visites, les médecins, les spécialistes, les médicaments, les cures, les piqûres, tout y passa. Ce qui était ennuyeux, c'est que la médecine n'avait pas de nom pour nommer la maladie qui le rongeait. C'était assez contrariant et plutôt frustrant. C'est vrai qu' un nom posé sur une maladie, cela aide à se positionner. D'abord le malade, puis les autres autour préfèrent savoir. Sans un terme adéquat, cela ne fait pas sérieux. Personne n'y croit. Ce fut le cas pour Ivan Illitch. Personne n'y croyait. Même lui se rassurait au début. Mais la douleur empirant, il fallut se rendre à l'évidence. Il se sentait mourir. Il se mourait. Entre ses propres interrogations, les silences polis des doctes "docteurs", les chuchotements et les agacements de sa femme, la légèreté de ses amis, trop occupés à d'autres loisirs bien plus passionnants que les visites à ce pauvre collègue, dont la place au bureau maintenant était inoccupée et convoitée par d' hypocrites et veules subalternes ambitieux, Ivant Illitch commença de douter. Du fond de son lit solitaire, il avait le temps de passer sa vie en revue. Ce fut terrible. Il fit ainsi dérouler toute son existence, depuis son enfance heureuse, son adolescence insouciante, puis son mariage raisonnable et sans amour, sa liaison avec il ne savait plus quelle dame de province, sa carrière remarquable, ses voyages, ses soirées, ses camarades, ses amis. Il nota que les débuts avaient été plutôt prometteurs. Ses souvenirs les plus heureux se trouvaient être les plus anciens. Il voyait de la lumière sur ce passé lointain. Cela ressemblait à une fête foraine colorée et chargée en musiques, en mouvement. Dont il ne percevait plus que par bribes les réjouissances désormais. Et les images prenaient un air un peu flou vues de si loin. Au fur et à mesure qu'il tournait les pages de cette vie qui avait été la sienne, (avait-elle vraiment été la sienne ? « Et si vraiment sa vie, sa vie consciente ne fut pas ce qu’elle aurait dû être ? ») au fur et à mesure qu'il feuilletait son album personnel, les moments de joie spontanée semblaient s' effacer peu à peu, de moins en moins nombreux de moins en moins saillants, puis disparaitre tout à fait. Le bon temps était derrière. Quant au bonheur, c'était un leurre. Maintenant il le savait. Mon dieu, arriver au terme et réaliser qu'il y a eu erreur de casting ! Se dire qu'on s'est trompé de file, de scenario ! de femme, d'amis, de boulot, de tout ! Vanitas vanitatum sed omnia vanitas, comme on dit en latin. Splendeurs et décadence. Le lot commun. Ivan Illitch était arrivé "au milieu", à peine...Mais de quoi au juste ? Il allait tout juste avoir quarante-cinq ans. Il avait pourtant bien escompté vivre encore autant. Ivan Illitch agonisait. Il eut très peu de répit pour négocier une Rédemption. Le Ciel n'attend pas. "Il aspira de l'air, s'arrêta en plein souffle, se raidit et mourut." Et voilà. C'était la Mort d' Ivan Illitch : la plus sidérante agonie de la littérature ! En attendant.......et pour Apprendre à mourir, on peut avec bonheur suivre les conseils avisés de Sénèque !

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