Le bonheur des toilettes peut être minuscule. Indifférent, aseptisé, froid comme une vibration dhygiéniste. Lorsque je veux mieux connaître, discrètement, en silence, des maîtres de maison peut-être nouveaux amis jinvente alors un besoin pressant de me soulager. Et alors se passent bien des choses.
Pour moi, cest très facile, jai eu une grand- mère et sa maison dété. Jai eu des grands cousins et leur diktat daînés, qui trouvait son acmé lorsquil fallait prendre son tour pour aller au petit coin. Prendre son tour au petit coin, me direz-vous, comme chez le boucher ou le boulanger ? Je ne comprends pas ! Alors voilà
Alors voilà, dans les toilettes de ma grand-mère, il y avait, balancée par terre, une pile de magazines. Des magazines pour tout le monde, me direz-vous. Et bien non, et cest lOs. Mon grand aîné de cousin, à lépoque tracassé par son adolescence, à tout le moins il nous en offrait lapparence, lisait « Play Boy »en cachette. Ah oui, mais au petit coin ! Javais beau tambouriner à la porte éperdue, rien ny faisait. Si Benoît y était, une seule solution : filer droit au jardin derrière la haie de troènes. Quand il pleut, cest malin ! Ma grand-mère ne la jamais su. Je ne me souviens pas en avoir tiré un quelconque enrichissement sexuel précoce, ô, petite pomme rêveuse. Mais je suis sûre de faire encore hurler de rire tous ces cousins germains-là, si jévoque ces souvenirs, quoiquà présent grands-parents, tout comme moi grand-tante.
Je ne me souviens pas de leurs toilettes à eux, mes grands cousins.
Mais la rénovation de mon petit appartement me laisse libre de me souvenir. Jai donc tapissé mes toilettes
de livres. Comme à lancienne. Tout en haut, les livres de voyages, inatteignables. Sur létagère du milieu, ma modeste collection GALLIMARD, dont je peux atteindre les volumes juste en faisant des pointes. Là, mon petit mètre soixante triomphe
je nutilise pas lescabeau. À la droite du tuyau de descente, des petits livres pour passer un bon moment. Pour ceux qui, tout comme moi, doutent invariablement de leur culture, quelques petits livres pour tester rapidement ce que lon veut, de la Construction Européenne à La Culture Générale sur le vingtième siècle, Questions à Choix Multiples comme cela sappelle. Un SNOOPY en anglais également et »The old man and the sea » pour les anglophones de passages, Zola en traduction alternée pour mes germanophones. Voilà, cest tout nouveau dans ma vie, je doute fort que quiconque sy arrête, sauf moi-même à men souvenir et à le proposer. Je regrette juste cette chasse deau de ma grand-mère, robinetterie de nos années soixante, qui mobligeait à monter sur la lunette mouillée par mes uvres denfant, qui faisait un bruit denclenchement, une cadence métronomique, avant le grand déversement de leau.
La maison de ma grand-mère était peuplée de bibelots anciens, et de tous ces meubles chinois qui nous rappelaient, à nous les mômes, létonnant passé cambodgien de cette aïeule-là. Meubles dépoque aussi, rarement restaurés, comme une accoutumance à un délabrement stylé. On sen fichait tous. Les chaises rouges de la salle-à-manger, elles par contre, nous préoccupaient. Pour mériter de sy asseoir, il fallait avoir obtenu son baccalauréat. Il me semble me souvenir quil y avait même une graduation selon les mentions obtenues, ou leur absence totale. Je ne me souviens pas mêtre assise par terre adulte, ouf ! Alors voilà
Alors voilà, depuis ce temps-là, à Paris, je ménage les volumes, si je le pouvais il ny aurait aucun meuble chez moi. Il ny a donc pas de chaises, et surtout pas des rouges, chaises dont le dossier charpenté encombre mon visuel de petit peintre, mais des tabourets que je glisse sous la table. Quy puis-je ? À la maison, je suis une femme de volumes. Par contrebalancement. Très peu de tableaux, en souvenir de tous ces murs familiaux encombrés jusquà loutrance des toiles impressionnistes de mon arrière-grand-père Agénor, atelier de Fantin-Latour quand même. Décore-t-on joliment sa maison par réactivité ? Tout cela est nouveau, on verra. Stéphane un jour me dit spontanément, sans aucune demande de ma part : - « Ne tinquiète pas, Anne, un homme sy sent très bien chez toi, il sy retrouve, il sy love ! ». Éberluée, je ne pipai mot. En vérité, je ne métais jamais inquiétée de ce genre de détail
jusquà cet ami photographe qui, sagissant du papier de la salle deau, répliqua naturellement lui aussi : « Tu regrettes ce quadrillage turquoise et rose pastel léger quil ny avait plus en stock ? Pitié, ça fait nana ! « Mes amis sont ma richesse, je les écoute. Après cette première réaction légitime de ma part, que je ne nommerai pas car vous lavez située, je découvre avec stupeur que mon appartement
Alors voilà
Je nai pas de souvenirs denfance, très peu, jai des souvenirs dambiance, ceux-là tapissent mes murs.
↧