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Les cheminées du paradis. par Christensem

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Blottis sous les arches de la place des Héros, nous sommes quelques uns sur cette terrasse à survivre au froid de l'hiver. Un minuscule carré de soleil serti entre deux piliers de granit aux allures de cerbères nous sert d'alibi pour paresser au milieu des cafés chauds. Juste en face, roulant sur l'arrête des toits, le soleil joue à cache-cache au milieu des cheminées. A ma droite, une demoiselle tente d'échapper à la fraicheur de ses éclipses en basculant régulièrement son siège en arrière.... Tout contre moi. Le reste du temps, le yeux fermés, elle se balance mollement au rythme de musiques invisibles. D'humeur galante je tenterais bien de l'aborder, lui sortir quelques mots d'esprit, exciter sa curiosité et laisser mon charme naturel opérer. Mais la probabilité qu'une paire d'oreillettes puisse filtrer mes boniments, me dissuade dans cette tentative. Peur du ridicule. Je me contente donc de surveiller la valse des cheminées pour grappiller les quelques miettes d'intimité qu'elle m'offre à chaque fois qu'elle m'effleure. Pendant les pauses je me contente de crayonner sur un carnet à élastique. Des oiseaux. Des nuées d'oiseaux. Une manière originale de combler le vide, un peu morose et excitant, qui me sépare de mes rencontres. Je la sens frissonner entre ses écouteurs. L'inclinaison de sa chaise devient vertigineuse. A petites narines gouter le vent dans ses cheveux. En sourdine me rassasier au caramel de ses parfums. Me consumer à cette lente montée du désir. Et je la vois remuer les lèvres comme pour bénir le retour de l'astre avant de s'éloigner de moi. Une fois de plus. De table en table. un clochard qui réclame sa part de survie. Imiter ma voisine et fermer les yeux sur la misère du monde. Au travers des paupières ne voir que la vie en rose. Le manant en profite lâchement pour me rafler mes Camel. Je me résigne et patiente en gobant les dernières volutes de ma cigarette... Derniers traits d'union entre moi et la civilisation. Après je ne répond plus de rien... Je retourne à l'état sauvage. Mais pas question de lâcher la place pour le tabac d'en face. Une nouvelle cheminée se profile à l'horizon. J'en oublie mes angoisses. Le vol des pigeons se fait plus lent au dessus de la place. J'enroule mon bonheur renaissant dans les rayures de son pull. Sur le trottoir mouillé, les pas délavés d'un marchand de rêve s'évaporent déjà en grésillant. J'entre sans bruit dans une nouvelle ère. Emmitouflé dans mon délire je sens les frémissements de la planète qui vibre sous le pavé. Je la sens basculer inexorablement sous mes pieds. S'accrocher à mon fauteuil. Ne rien tenter. Huit milliards de terriens partent à la renverse dans ce tour de manège intersidéral. Et tout ça, rien que pour moi ! Juste pour qu'une ridicule cheminée vienne au secours de mon destin.... L'inclinaison de son siège est diabolique. La conclusion est imminente. Elle va me tomber dans les bras. Comme une offrande. Une faveur de l'astre flamboyant. Légitime renvoi d'ascenseur après des siècles à rançonner les Incas. Emportés par le vent du soir quelques mèches me taquinent la joue. Des lianes qui tordent le cou à ma pudeur. Je m'immole dans ce brasier inattendu. Remonter jusqu'aux racines, jusqu'à son délicieux balancement et planter mes crocs dans son épaule... Et puis... plus rien. Les yeux clos je tends le cou vers ce vent du nord bien-aimé. Butine quelques flonflons de musique à la française.... J'ouvre les yeux, juste pour la voir s'engouffrer dans l'Audi de son mari. Ah son mari. Perdus dans le gris bleu du ciel quelques oiseaux luttent, prisonniers d'un filet invisible et moi je me recroqueville au milieu de cette terrasse immense. Le va et vient des derniers passants. Un couple qui se presse. Des rires qui s'envolent. Du bonheur sur papier glacé. Des images à mettre en pièces à coup de dents. Je règle et disparaît dans une bourrasque. Sans un mot. Sans une virgule. Me retrancher dans ma tanière. Me connecter au miroir aux alouettes. Aux créatures belles comme l'ennui. Ce soir elle s'appellera Marylou.

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