Le graphène dans tous ses états par Jules Félix

Manchester est à l’honneur depuis le 5 octobre 2010 : deux de ses chercheurs (tous les deux d’origine russe) Andre Geim (cinquante-deux ans) et Konstantin Novoselov (trente-six ans) viennent d’obtenir le Prix Nobel de Physique 2010. Il faut souligner qu’attribuer un Prix Nobel à un chercheur de trente-six ans est très très rare de nos jours. Généralement, il faut attendre soixante-dix, quatre-vingts ans pour se voir gratifier de cette distinction (Georges Charpak l’a obtenu par exemple à soixante-huit ans). Novoselov a été le thèsard de Geim aux Pays-Bas et les deux hommes sont allés bosser à Manchester. C’est en 2004 que les deux chercheurs ont réussi à élaborer du graphène. Qu’est-ce que le graphène ? C’est un nouveau matériau qui va avoir de nombreuses applications. L’intérêt, c’est que c’est un cristal composé d’atomes de carbone qui est bidimensionnel et pas tridimensionnel, c’est-à-dire qu’il n’est formé que d’une couche atomique de carbone. Or, le fait d’être en tranche apporte au matériau des propriétés mécaniques et électriques extraordinaires avec un comportement quantique, ce qui fait du graphène un bon candidat pour remplacer le silicium dans les composants électroniques (vous imaginez le nombre d’applications possibles). Les électrons vont trente fois plus vite sur le graphène que dans le silicium et avec quasiment pas de pertes Joule (pas d’échauffement). La conductivité thermique est de cinq mille Watt par mètre et par Kelvin (à comparer avec celle du cuivre à température ambiante de quatre cents). La possibilité d’isoler des couches va réduire aussi la taille des composants. Le graphène est ultra léger : il ne pèse même pas un milligramme par mètre carré. Par ailleurs, le graphène possède d’excellentes propriété mécaniques, avec une résistance à la contrainte d’environ quarante mille fois la pression atmosphérique. Ce qui fait qu’il est cent fois plus résistant que l’acier. Deux méthodes sont utilisés pour synthétiser du graphène : soit à partir de graphite en y prélevant juste une couche atomique, soit à partir d’un cristal de carbure de silicium et en en éliminant le silicium. Depuis quelques années, le graphène est devenu à la mode et il y a un réel emballement scientifique sur ce sujet, à peu près de même nature que l’emballement pour les supraconducteurs en 1986. Beaucoup de labos travaillent désormais sur ce matériau et le synchrotron Soleil (basé près d’Orsay) a déjà fait beaucoup d’analyses pour des équipes françaises et américaines. Ce qui est donc fort remarquable, c’est que le Prix Nobel est attribué à deux chercheurs jeunes pour une découverte très récente, ce qui compense par exemple l’attribution du Prix Nobel de Médecine à Robert Edwards, quatre-vingt-cinq ans, pour la fécondation in vitro dont la méthode a été finalisée en …1978 ! Autre truc amusant : aux Pays-Bas, Andre Geim avait été gratifié du Prix Ig Nobel de Physique en 2000. Les Prix Ig Nobel sont une parodie des Prix Nobel pour ridiculiser les auteurs d’actions plutôt inutiles. Andre Geim l’avait obtenu pour avoir fait léviter une grenouille sur un aimant. C’est le seul dans ce cas-là d’avoir obtenu ces deux prix (un sérieux, un parodique). Un aperçu des Ig Nobel (en 2007) où j'avais déjà cité Geim : http://www.pointscommuns.com/lire_commentaire.php?flag=L&id=63307 Pour avoir plus d’info sur le sujet, un document de seulement treize pages à lire : http://static.nobelprize.org/nobel_prizes/physics/laureates/2010/sciback_phy_10.pdf