Le souffle cuivré de l'automne est partout. Il se démène comme un diable dans les pommiers, dans le tilleul. Les buissons du jardin rouillent sous la lumière dorée du soleil.
La vieille est aux anges. Elle en a plein les mirettes de cette fête.
C'est la saison qu'elle préfère.
Dans sa chaise en rotin plantée sur la terrasse, elle a le cur gaillard de voir ces herbes et ces fleurs qui succombent à la froidure des ombres.
La malice se lit dans son regard fané. Chaque tourbillon de feuilles qui s'en vient chiffonner le pavé de la cour est comme une caresse sur son corps tourmenté d'arthrose.
Lorsque les pluies de novembre engloutiront tout ce petit monde, elle sera toujours là... Et leurs survivra.
Peut-être un peu plus tassée derrière les vitres embuées. Mais bien vivante. Sa santé bancale la traine comme ça d'une année à l'autre. Et ça lui va bien.
L'hiver ça ne lui fait plus peur. C'est même le coté du calendrier où l'on pense le plus à elle !
Le vent, le froid... Comment te débrouilles-tu avec toute cette neige Mamie ? Veux-tu qu'on passe te voir ?
?
Comme si l'été c'était kermesse tous les jours ! Avec les chaleurs qui font suinter la peau. Et ces arrosoirs de plomb qu'il faut trainer sur le ciment jusqu'au pied des rosiers affamés.
De colère le noyer vient de mitrailler les tuiles de la remise. Une volée de noix pour lui rappeler qu'on l'oublie, lui aussi.
Elles sont bien loin les années où la marmaille bataillait à ses pieds. Les mains noires de brou.
De temps en temps, comme un chien trop vieux qui veut encore jouer, il fait rouler un fruit jusqu'au bord de la terrasse.
Mais la vieille ne bouge plus. Elle se méfie de ses jambes et du pavé mouillé.
Alors il se venge un peu. En donnant quelques gifles à ses dahlias. Du bout de la balançoire.
Elle s'économise la vieille.
Déjà qu'elle ne quitte plus le rez de chaussée. Trop d'efforts. Trop de pas pour sa carcasse usée.
Alors elle ferme des portes. Sur des chambres trop vides. Ou trop pleines. De souvenirs. De turbulences...
Peu à peu, la maigre poussière de ses allées et venues s'accroche à ses épaves. Une odeur épaisse et froide y surnage. Surtout la nuit.
Pour remplir le désert de sa toute petite vie, parfois elle fait grincer des charnières, la vieille.
Histoire de réveiller quelques images, quelques murmures. Elle tend l'oreille, la main cramponnée à la poignée.
Elle entend des choses et se dit qu'elle est folle.
Sa mémoire lui fait peur. Bien plus que ses douleurs.
Petit à petit, elle finira par ne plus quitter la salle à manger.
Le soleil est encore chaud. Sur son visage, sentir sa cuisante morsure. Elle ferme les yeux pour jouer avec lui.
Toute gamine, la carnation de ses paupières lui faisait comme un torrent de lave sur les rétines. Mettant souvent le feu à son imagination.
Aujourd'hui, derrière ses chairs flétries, c'est à peine si le brasier de l'astre y met de la couleur. Juste quelques minces veinures pourpres qui tirent sur le bleu dès qu'elle est fatiguée.
Quelque part, au bout de la plaine une cloche retentit.
Un appel caressant. Une musique bienveillante qui se niche en rond tout contre son ventre.
La vieille s'alanguit. S'apaise.
Derrière les vitraux sanglants de ses paupières elle se voit étendue au cur d'une chapelle. Au creux d'un velours rouge. Et les siens tout autour.
Pour une dernière fois, reine de la fête.
Elle entend parler fort tout le long du cortège et ça lui fait du bien.
C'est comme ça qu'elle veut partir. Avec des enfants qui se bousculent dans la poussière du chemin.
Elle a mis quelques bouteilles de coté pour ce jour là. Du très bon vin.
Même qu'un soir elle en a débouché une. Pour savoir... Pour se faire une idée de la saveur de la vie quand elle sera plus là.
La fraicheur de la soirée recroqueville déjà les ombres sur elle.
Il faut rentrer.
Derrière elle, trois marches assassines l'attendent.
Trois marches qui lui torturent le souffle.
A chaque fois un peu plus.
Petit à petit, elle ne quittera plus la maison.
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