C'était un début de soirée dun jour hivernal, pas un hiver qui vous englue dans une température si basse que les lèvres se gercent et se crevasse au plus profond de votre être, non plutôt une atmosphère revêtue d'un manteau de grisaille qui vous enserre le cur dans un étau et foutrait le bourdon à un cafard.
Je marchais seul dans la rue, enfin presque, le désert s'était accaparé des moindres nuances de vie. Je ne me rappelle plus bien de cette rue, c'était dans le Paris où j'aime tant cheminer, sûrement un quartier derrière la gare Montparnasse, je rejoignais mon fils pour aller manger ensemble et ensuite se faire une toile.
Le vent s'engouffrait dans cette artère exsangue d'âme qui vive et accompagnait les déambulations d'une pauvre hère qui avançait à une centaine de mètres devant moi. De zig en zag chaque pas étaient pareils à de grands coups de gouvernail pour garder le cap dans des eaux en furie.
Arriva ce qui devait arriver ou au moins ce que je pensais qui allait arriver: une bourrasque de trop, un pied pas assez levé, l'homme bascula et se retrouva les deux genoux à terre, la tête ballante entre ses épaules. Il n'avait même pas lâché les deux gros sacs en vinyle qu'il tenait dans chaque main.
La chute n'avait pas été spectaculaire, l'homme était un modeste ou introverti, les fioritures de style et les arabesques embellissant les circonvolutions n'appartenaient pas à son répertoire. Sa cabriole ressemblait à s'y méprendre à une génuflexion. J'avais hâté le pas pour lui proposer de l'aider. Avant même que j'arrive à sa hauteur, à mon grand étonnement, dans l'impossibilité de se relever je le vis opter pour une position allongée en chien de fusil au milieu du trottoir et rassembler ses deux pochons et les serrer contre lui.
Remis de ma surprise et arrivé à ses côtés je lui proposais de l'aider à se relever. Lentement il tourna son regard vers moi et d'un sourire édenté il accepta mon aide. Il était vêtu d'un épais manteau d'un bleu douteux en laine, mis par dessus une veste toute bien épaisse aussi, dans ses chaussures les chaussettes avaient été astucieusement remplacées par du papier journal. J'avais devant moi un crabe qui au temps de saison venait de faire sa nouvelle carapace, protection assurée contre vents et marées, mais à l'intérieur ce nétaient que vide et fragilité. La grisaille de son visage calquée sur l' ambiance environnante et dissimilée par une barbe hirsute qui n'avait pas encore subit les outrages du temps estompaient les origines ethniques de ce quidam.
Si la coque n'était guère pleine il m'a fallu beaucoup d'énergie pour arriver à le remettre debout, quelles que soient les prises auxquelles je m'exerçais je ne trouvais que des bourrelets de tissu qui faisaient saillir et rouler ses membres dans ce sarcophage de coton.
Posément, dans des relents de vinasse mal digérée il me glissa au creux de l'oreille qu'il n'avait plus la force de se tenir debout. Les reflux sophagiques s'accompagnèrent de grognements caverneux issus de son estomac. Ce que je pensais qui allait arriver n'arriva pas, dans un flash de déprime je le voyais me dégueuler dessus me recouvrant d'une liqueur bileuse rosâtre.
Je le délestais de son sac Tati rose et bleu qui devait contenir tout l'héritage de sa désocialisation et qui lui donnait un net balourd sur sa gauche, son bras ainsi libéré vint s'agripper sur mes épaules, il gagnait en stabilité ce que je perdais en assurance.
Bien sûr je ne lui fis pas laffront de lui demander où il habitait et ne savais quoi faire pour le remettre dans une ligne directrice, devant mon air ahuri et incapable de trouver une solution, il me dit "Déposez moi devant la porte". Nul doute qu'il avait une plus grande expérience que moi pour gérer ce genre de situation. Il avait joint le geste à la parole pour me désigner le pas de porte qu'il avait choisi. Il continua en m'expliquant qu'il lui fallait un peu de repos et de temps pour reprendre ses esprits.
Je l'aidais à s'assoir sur la marche en marbre de carrare de l'entrée dun immeuble, vraisemblablement ce n'était pas son lieu de villégiature habituel, mais il était de la race des escargots qui en ont tant bavé qu'ils savent rentrer dans leur coquille et attendre des moments plus propices.
Quand on fait du porte à porte il faut être précis dans la démarche, aussi il me demanda de l'aider à le caler dans l'encoignure dun pilier et du battant de la porte en bois, ainsi il serait protégé du vent et le maintien de lérection du buste favoriserait la digestion de ses amertumes bues à grandes tirées avides.
Je navais pas tout dit, ni tout fait, je venais de toucher du doigt la misère sociale, celle-là même qui minterpellait quand je la voyais et faisais naitre en moi de grandes théories. Nous avons tous une guenon dans le dos qui nous dévore la nuque, la guenon de ce pauvre type était devenue omniprésente en mon for intérieur.
Arrivé au restaurant je suis allé derechef me laver les mains, je fis mousser le savon tout autant que jai pu, mais un lavage de cerveau ne peut se faire en se frottant les mains et en les rinçant à leau claire.
Mon fils me racontait avec forces de détails les résultats quil obtenait avec les jeunes du quartier quil avait en charge. De la méthode pour créer le contact, laccompagnement pour les amener à se confier, laide apporté pour trouver des solutions à leur problématique, et les progrès obtenus. Je percevais au son de sa voix et aux expressions de son visage quil avait trouvé sa voie. Il me confirmait sa vocation et sa hâte dès ses études terminées de pouvoir entreprendre sa vie active dans létablissement qui lavait accueilli en alternance.
Tout aussi grande que pouvait être ma fierté celle-ci narrivait à percer ce voile de honte qui maccaparait. Quelque part dans le tout Paris qui ne vous prend pas dans ses bras il y avait un paquet de linge sale que javais abandonné devant une porte.
Sil est des jours où Cupidon sen fout, il en est tout autre pour Destinée fille du Chaos qui inlassablement écrit notre histoire à lencre de notre sang et de nos larmes.
Lcm
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