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31 mai, journée mondiale sans tabac par Abicyclette

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Je dois beaucoup à mon oncle, et d’abord ma dépendance. Pour le comprendre il faut déjà raconter que, quand il était jeune homme, il travaillait sur l’atoll de Mururoa, pour l’armée. A l’époque il était franchement électricien et secrètement communiste. Sur une série de photos jaunies, prises là-bas, dans les années 70, on le voit en uniforme, affublé d’une grosse barbe broussailleuse et postiche , les élastiques mal dissimulés s’accrochant aux oreilles, parfait sosie de Fidel Castro, l’œil noir à l’étincelle révolutionnaire fixant l’horizon de la lutte finale. Travailler à Mururoa c’est bien payé. Les occasions de dilapider l’argent sont nulles et celles de s’ennuyer gigantesques. Mon oncle a fini par rentrer en métropole avec ce qu’il faut appeler un petit capital (bien que ce mot lui écorchât la langue) qui lui a servi à s’installer pour son compte avec sa fraîche épouse. Une société qui a rapidement prospéré. Il a dû embaucher. Et plus il embauchait moins il paraissait communiste, ou, tout du moins, de plus en plus secrètement. La conviction révolutionnaire lui semblait vissée au corps aussi mal que la barbe postiche. Quand nous nous voyions en famille, au repas dominical organisé deux fois par mois chez mes grands parents, nous pouvions constater à quel point son embonpoint suivait une courbe inversement proportionnelle à la ligne de ses voitures de course. Lui qui, le déjeuner fini, était toujours du côté de la jeunesse pour une partie de cache-cache dans le jardin préférait maintenant garder son estomac au salon, à laisser fermenter les kilos de viande engloutis arrosés au digestif et fumés au cigare cubain, le seul des attributs de Fidel dans lequel il pouvait encore se reconnaître. Nous qui l’adorions, ne voulant pas lâcher prise, faisions des allers-retours continuels en tournant autour du fauteuil comme de petits sioux: -Tonton, tonton, viens jouer, viens faire un foot avec nous ! Il devait culpabiliser de nous laisser tomber car un jour - je ne sais pas si c’est l’action des radiations de Mururoa sur son cerveau, mais il avait parfois de drôles d’idées - enveloppé dans un épais nuage de havane, il se défila une fois encore en disant : -Eh les mômes ! Regardez ce qu’il sait faire tonton ! Et, creusant les joues, arrondissant la bouche, prenant la pose du prestidigitateur, il débita un long chapelet de ronds de fumée d’une perfection telle que je n’ai jamais revu chose semblable. -Encore ! Encore ! -Tu sais faire des plus grands, les plus grands du monde ? -Tu pourrais en faire cent cinquante d’un coup ? -Tu sais faire des carrés ? -Des triangles ? -Des cylindres ? -Oui, bien sûr… des têtes de Mickey aussi… mais je vous les montrerai quand vous-même aurez appris à faire de beaux ronds. Et de nous distribuer le reste de sa boîte à cigares pour notre entrainement. Alors, suite à cette mémorable journée, tout les quinze jours il se mit à nous ramener chacun la sienne, en consignant soigneusement nos progrès sur un petit carnet. C’est comme ça qu’a l’âge de dix ans a commencé une dépendance dont je ne sais si je dois la mettre sur le dos du communisme, du capitalisme ou des essais nucléaires. Dépendance non pas au tabac (je vapote du jus de fraise, le tabac j’ai compris que c’était néfaste en embrassant mon oncle, dont les joues, à force de brûler des havanes se sont mises à prendre le goût de jambon fumé), dépendance non pas au tabac, disais-je, mais aux « ronds de fumée », qui est pour moi un terme générique, car si j’ai compris depuis longtemps que les têtes de Mickey c’était du pipeau, en revanche j’ai la conviction que les carrés, les cylindres et peut-être même les sphères sont réalisables. Le malheur de la dépendance « aux ronds de fumée » est que c’est une addiction terrible. On ne peut la comparer qu’à la pratique du bilboquet. Pourtant aujourd’hui je m’abstiendrai de faire des ronds, en solidarité avec mon oncle bien-aimé qui s’abstient de faire les siens le jour de la journée sans tabac, car, comme il le dit si merveilleusement bien : -Le 31 mai, mais uniquement le 31 mai, vois-tu mon neveu, je fais plaisir à mon médecin, entre l’alcool et le tabac, je choisis l'alcool, exclusivement. A chaque jour suffit sa peine. Il est des jours où il faut affirmer bravement des convictions… même si elles sont temporaires.

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