Dans la nuit dernière d'automne, le boulevard des Capucines, celui du village niché au coeur et un peu autour de la Seine, rutilait de neuf lettres éclatantes.
En sortant de la salle de spectacles, je les observais en rêvant. Puis je remarquais un photographe amateur étranger qui les capturait dans son objectif. Je l'interrogeais.
RAY DAVIES
Sa tournée mondiale est passée cette fois par Paris et son Olympia.
Selon mon interlocuteur, l'acoustique y est bien meilleure qu'au site de plein air espagnol où RDD (Raymond Douglas Davies) s'est produit, rien d'étonnant, n'est-ce-pas ?
"Autumn Almanac"
J'étais seule hier soir, et Ray a chanté environ dix-sept chansons dont ce ravissant almanach automnal hier soir, hier juste quand un album de vieilles chansons, reprises des KINKS, sortait avec pour titre "See my friends" au thème de solitude, l'un de ses thèmes récurrents.
"See my friends"
Historique, donc, ce nouvel album, il s'y fait accompagner d'amis "hard-rockers" dont Bon Jovi (mentionné par lui lors du spectacle) ou Metallica, son frère Dave, malade, ne se produisant plus et refusant de jouer à nouveau avec lui à cause de veilles querelles aussi "historiques" que familiales qui datent de leurs jeunesses...
"See my friends
Laying across the river
She is gone
She is gone and now there's noone left
Except my friends laying across the river
Now she's gone
Now she's gone
Wish that I'd gone with her"
...
Vois mes amis
Etendus de l'autre côté de la rivière
Elle est partie
Elle est partie et maintenant il ne reste rien
Sauf mes amis étendus de l'autre côté de la rivière
Maintenant qu'elle est partie
Maintenant qu'elle est partie
Je voudrais être parti avec elle.
La nostalgie est l'un des traits de sa personnalité, souvent paradoxale, mais déjà il regrettait ceux qui disparaissent, ayant toujours été blessé par le départ des autres, ou les deuils, celui en particulier d'une tendre soeur aînée, Irene, évoquée dans "Rainy Day in June"...
Cette lente mélopée aux accents indiens s'écoule, telle le long fleuve de nos vies, vers l'autre rive, où passent trop vite les âmes que nous chérissons.
C'est bien, avec une autre inédite composée pour le film "Percy" autrefois aussi, chantée pour la première fois en scène hier soir pour nous, l'une des ses plus sentimentales et sûrement sa plus mystique. Elle a précédé la vogue de Ravi Shankar.
J'ai pu admirer un Ray Douglas en pleine forme, qui gratifiait son public de fans français de jolis sauts sportifs ponctuant la fin des morceaux, eux aussi, "historiques, démontrant la totale récupération de sa jambe blessée. Sa voix, unique comme tout chez lui, ("I'm not like everybody else", qui est une profession de foi, qu'il fit longtemps chanter par son petit frère Dave, on l'accusa souvent d'en "faire trop", mais qu'il chante lui-même depuis bien longtemps déjà) garde toute sa puissance et la jeunesse de ses débuts...
Au fait, qui se souvient du mémorable concert de la Mutualité en 1965 ?
Dandy toujours coquet, il changea de chemises, historiques aussi, elles furent faites sur mesure par l'"historique" maison de confection de la rue de Rivoli, Heydrich and Keys, vous savez bien, une certaine Marlène s'y habillait aussi...sa dernière pour la fin du spectacle fut longue et toute blanche...
Ce récital, jugé trop court par ses fans, très fervents et réactifs, fut très bien composé d'une sorte d'"histoire" rétrospective de sa carrière, si prolifique, depuis la fin des années 50, quand à 17 ans, il composa sa toute première chanson, à la suite de sa première rupture sentimentale.
" I can't help worrying about that girl".
Son humour aussi légendaire que lui, ne le quitte jamais : "She was cheating me. She broke my heart but I can't remember her name." (Elle me trompait. Elle me brisa le coeur mais je ne peux pas me souvenir de son nom...)
Après deux morceaux acoustiques exécutés par son ami guitariste Bill, un Irlandais, et lui-même, d'origine d'une famille irlandaise londonienne, les titres "légendaires" se succédèrent accompagnés d'un orchestre avec une "lead" guitare, une batterie et Ian Gibbons, ancien claviériste de la fin des Kinks.
Parmi les classiques, repris par la foule :
"Dedicated to a follower of fashion"
"Dead end street"
"Sunny afternoon"
Le Londres des sixties réapparaissait devant mes yeux...
Sentimentales : "Victoria" (le nom aussi de sa première fille) et "Celluloid Heroes"
"After the fall"
"Vietnam Cowboys" fut très remarquée par une brillantissime reprise des Shadows : Apache...
Pour la fin un petit récitatif annonçant l'"histoire" du "hard rock" par son petit frère : "You really got me" puis, après "20th Century man" écrite pour son père, "All day and all of the night"
La dernière, en "standing ovation" et très très "hard" : "Till the end of the day"...
Certains reprocheraient trop de nostalgie ?
Il y a une telle vigueur dans ces "nostalgies"...que son audience s'en trouve très diversifiée, de l'enfant habillé du T. shirt de la tournée mondiale au papy sexagénaire qui vibrait du temps des
Kinks....
Humour encore : "Demon Alcohol" fut réclamé, commencé puis abandonné par défaillance de mémoire, oubli des paroles...
Sans doute en réponse au petit frère récalcitrant qui refuse toute nouvelle proposition de "reformation", ce disque et cette tournée très "hard" ...mais RD, c'est aussi un long flot de créations musicales et littéraires, drôles, tendres, douces, subtiles, poétiques ...
La fin du spectacle prouva toute son énorme vitalité ; l'unité sonore résonnait si violemment mais vibrait aussi brillamment dans l'entonnoir montant de la salle rénovée (bien que pour le confort, j'aurais beaucoup à redire...) où, perchée, coincée trop haut, je ruminais mes frustrations...
Devant ou plutôt presqu'au-dessus de Raymond Douglas Davies mais si loin, bien trop loin...avant que le néon rouge de son nom lumineux ne s'efface dans la nuit parisienne...
...
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