Il y a une semaine et un jour, nous avons couché ensemble. Cétait un mercredi, il était tard.
Il y a une semaine et deux jours, je me plaignais parce que je dormirai seul.
Ce mercredi, on a fait lamour trois fois
et je ne sais plus si jai aimé faire lamour, dans le grand appartement carré de mon ami François.
François, depuis quelques mois vivait chez sa copine Catherine. Il me laissait son appart dès que je revenais sur Paris. Il laimait sa copine sans encore le savoir, ce qui lui donnait parfois un fort caractère irritable.
Javais ses clés, un double fait six mois auparavant ; au téléphone il avait été daccord pour me le prêter une semaine. Cétait bien assez.
Je me rappelle que le lit était grand et simple. Le matelas était mou posé sur un sommier rudimentaire. Deux oreillers dont les housses blanches étaient sales attendaient dessus laffection de nos nuques damoureux.
Léclairage dune ampoule de cent watts baignait la volumineuse pièce dune sorte de chaleur que réverbéraient nos désirs. Un éclairage vulgaire. Disposée sur une commode dun style dix-septième en bois massif, nous épiait une toile dun peintre régional que javais découvert le long du parcours dune exposition provinciale. Une fraîche jeune fille en maillot de bain deux pièces semblait sétendre, étalant sur une ville effilée noir et blanc lampleur envoûtante de sa sensualité. Les mauves mexcitaient sans doute bien plus que le corps qui me déshabillait.
Je crois que la raison en était de linaccessibilité, si personnelle à lart.
Nos corps sur le matelas mou simbriquaient au fur et à mesure quils inventaient leurs positions. Nos pores se découvrirent. Nos lèvres se joignirent, voraces, dépassées bientôt par nos langues qui déjà, dans un même élan animal, semmêlaient tantôt avec violence, tantôt dans la douceur, se frottant, jouant sur lenvie de lautre de jouir, sagrippant
De lodeur de nos chairs enfiévrées, attisées par les glissements lascifs de nos membres, les jets de salive et lardeur de nos furieux désirs, sémanait un encens hallucinogène qui sinstalla autour de nos ébats, tout en nous grisant. SEXE-DROGUE.
Lèvres, cou, épaules tendues, dos cambré, fesses, bras, nez, oreilles, lèvres, seins, tétons droit puis gauche, ventre, cuisse, apothéose, secret des saints, effervescence divine. Nos fluides se sont mélangés, accompagné par la musique rugueuse de nos râles gémissants. Nos chairs alors raffermies se relâchèrent nous offrant ainsi dans leur contact inondé, la douceur de la petite mort. Tout fût visité dans une absolue mixité de salive et de sueur. Tout fût caressé, poitrine contre poitrine, cuisse entre cuisse
Nos ventres sétaient échauffés, nos mains sétaient aimées dans un silence complice. Javais adoré, je me souviens, baisé la ligne franche toute indécente de son cou. Y laisser glisser mes dents. Me jeter, carnivore, sur les veines qui apparaissaient palpitantes, bleues dexcitations, à linstar de mon il insensé. Et ma langue, suivant londulation de son flux, agaçait ses essences. Nos cuisses chaudes se croisaient à linfini, lune contre lautre, libérant le venin de nos deux sexes. La main sur son sexe, la sienne achetant ma virilité au prix gastronomique de sa bouche pécheresse.
Nos chaleurs, notre excitation, notre désir cannibalesque, il y a une semaine et un jour, nous avaient perdus.
Dans tout cela, il y avait eu de la folie. Je me souviens lavoir senti, après quune seconde de lucidité a lâché sa syncope désaccordée.
Il y avait une semaine et un jour, nous avions couché ensemble. Ça avait dû être un mercredi, durant la nuit.
Un jour avant, je navais pas voulu dormir tout seul au milieu du petit appartement carré de mon ami François. Javais eu peur, sans savoir pourquoi. Une grande peur.
Le matin, une amie sonna. Il devait être à peu près onze heures, on venait tout juste de se lever. Je laimais beaucoup, elle sappelait Jade, ce qui nétait que justice puisque, à mon goût, seule elle pouvait porter la délicatesse, la fraîcheur et léclat de cette pierre, sans ne jamais lui faire insulte
Cest vrai quelle était belle, maintenant que je me rappelle. Je crois même que je lavais beaucoup aimée, Jade.
Javais oublié que nous avions rendez-vous. On le comprend aisément ! Elle entra et je ne le sus que plus tard mais ce quelle vit lécura. Non pas que la pruderie ou la différence ne laient choqué, elle en avait vu dautre, mais lobjet nouveau et incongru qui avait valu ma fougue sexuelle lavait interdite dès quelle laperçut en tenue légère.
Il était vrai, que la situation était quelque peu cocasse et inattendue. En mon for intérieur, javais beaucoup ri davoir été pris sur le fait comme un garnement à poil chevauchant sa copine, soudain surpris par sa mère. Dans mon caleçon grenat à rayures claires, je me sentais bien, sans aucune pudeur à lidée que Jade me voyait à demi nu. Je ny avais pas même prêté attention, lévénement sy prêtait tout bonnement. Jade et moi savions bien quil y avait plus de chance que se soit ma pomme qui la surprenne un matin, avec un type en caleçon planqué dans la salle de bain. Depuis des mois, je me plaignais de ma monacale solitude, sans trop réagir pour y remédier.
Vraiment, la tête de Jade, quand elle vit lexplication de ma sueur, était digne dune photo. CLIC. Une espèce de grimace retenue cinglait son joli minois partagé entre léclat de rire, la stupeur, et le besoin express de bondir se plonger les tripes dans la cuvette des toilettes. Mais en y repensant, je crois surtout quelle samusait la petite garce. Je devais avoir une sale tête après la nuit mouvementée que je venais de passer, moi le petit macho, comme je lavais entendu susurrer à mon oreille innocente depuis sept, huit heures.
Quelques heures plus tard jy avais resongé. Mon point de vue sétait vicié et je me renfermais. Ça avait été une nuit bizarre, humiliante, pour moi qui navais jamais eu ni le dessus, ni le courage ou lenvie de lavoir. Javais réalisé ce qui était arrivé, et mon festin libidineux sétait rangé parmi mes milliards de souvenirs. Une catégorie spéciale avait dû souvrir au sein de mes nomenclatures mentales, et devait encore stagner dans ma conscience. Jattendais la transmission vers les casiers poussiéreux de ma mémoire. Combien de temps prendrait ce transfert définitif ? Combien de temps me faudrait-il pour accepter ce sur quoi mon doute hésitait encore à admettre comme réellement arrivé ?
Jai oublié quand tout ça sest passé
Il devait être tard et je me souviens, enfin je crois, que lendroit avait une géométrie conventionnelle terrée au fond de mon angoisse.
A cette époque jétais seul et jen souffrais horriblement.
il me semble en effet, me souvenir, cétait il y a longtemps
Rien na beaucoup changé. Aujourdhui, jécris cet extrait déterminant de ma vie. Un morceau dune nuit dont je ne peux et naurais jamais la moindre honte
quelques heures enflammées qui me poursuivraient de leurs traces.
Je nen ai aucune honte, pourtant, je ne parviens pas à me présenter à toi, lecteur. Ton il me perce, me juge. Ton il me conduit dans un songe de honte auquel je nentends rien de logique et qui cependant me paralyse.
A quoi cela servirait-il, dailleurs, que tu me connaisses ! Qui serais-je pour toi dans quatre à cinq mois ? Un imbécile imprudent, sur qui tu pleureras une heure ta compassion ; un pauvre malade de plus, perdant ses cheveux, cachant les tâches qui couvriront son visage ; un infirme de soixante kilos quun réflexe oublié cloua pour un reste de vie dans un lit glacial dhôpital.
Et puis zut, quelle importance, puisque tu ne me connais pas ! Je mappelle Anthony, jai vingt trois ans et il y a une semaine jai fait lamour sans préservatif. « Pauvre inconscient ! » que tu dis.
Non, simplement lautre maimait et depuis fort longtemps. Jai mordu à lhameçon, cétait ma première fois. Javais vingt-trois ans. Dans la poche droite de mon jean javais deux capotes. Au cas où, jen ai toujours sur moi
Il y a une semaine et un jour je nai plus pensé à ma poche droite, les capotes y sont toujours, jai toujours vingt trois ans, mon nom est Anthony, lautre maime tellement
et dans trois mois jaurais peut-être le SIDA.
Jai vingt-trois ans et cétait ma première fois !
On savait tous les deux quil fallait se couvrir. On nétait pas idiot, tout le monde a entendu parler du SIDA. Syndrome dImmunodéficience Acquise. Tout le monde sait que le sida te TUE. LENTEMENT
Oui, tout le monde le sait, nous aussi. Mais cette nuit on sest aimé. VIH. On sest fait lamour et on sy est oublié. Cest bête, on naurait pas dû saimer, ainsi on aurait baisé et la capote aurait participé. Mais nous, on saimait.
Son passé je le connaissais, du moins des instants, quelques-unes de ses orgies érotiques, assez pour me figurer léminence du risque que jencourais. Ses parties de baises, en boîte, dans des jardins, des parkings, dans, sur, et entre voitures, devant, derrière et à plusieurs, avec pétards, alcools, poppers et autres instruments ; létendue fangeuse de son culte pour le plaisir sexuel métait devenue familière par la sincérité et la franchise avec lesquelles lautre men parlait.
Lautre, puisque ma bouche sassèche à la prononciation de son nom. Lautre, ma drogue, ma seringue, ma jouissance et, je nose le penser, mon agonie, ma mort. Lautre qui, comme une mère, moffrit de ses fluides son SIDA. Lautre que jaime malgré cela.
Un danger réel existait de sa part et ses mots rassurants, quelques jours plus tard, sinclinèrent dans mon sens comme une pluie acérée de vipères, aspics et autres sanctions conduites par ma conscience. Moi aussi, javais été là et aurais dû réagir. A droite, dans la poche de mon jean, il y avait deux capotes
Deux !
TROP TARD. LES REGRETS SONT MORTS
TROP TARD.
Lerreur avait duré lespace, pitoyablement humain, dun moment. Lhomme vivrait cent vingt ans et moi, peut-être encore une dizaine.
Cest drôle, je serais le premier de la famille à mourir avant quatre vingt années. Ma grand-mère avait vaincu deux guerres, mon père lAlgérie et moi sans porter de casque, je métais lancé drogué vers la petite mort.
Je traîne mon hébétude, depuis. Le monde alentours fuse sans mattendre. La vitesse confine en constance mon apathie.
Le problème me dépasse. Il semble quinconsciemment je me sois destiné à jouer avec ma mort. Ce regard méprisant, il ma fallut le poser sur le monde qui mavait prévenu et dont jai éludé les attentions, avant de le fixer sur mon insouciance.
Je dois être bien mal dans ses structures, au milieu de ses hommes, pour avoir envoyé la roulette russe, léchée par la pression de mes doigts pleins de fourmis. Dans 3 mois, lorsque les tests seront entre mes mains, le barillet sarrêtera et la détente se lâchera. En un dixième de seconde jaillira, peut-être, lexplosion punitive ou un déclic silencieux.
La mort ne sera plus abstraite. Et moi, qui aimais tant à la dessiner, devrait désormais, si crayon je trouvais, tirer les traits lointains de la vie ; vie qualors jenvierais, essaierais de toucher au plus près et aimerais à la folie. En dément libéré de ces chaînes musculaires, je me cognerais lâme contre la glace sans teint ni far. Je comprendrais par ce refus le vice imbécile de laverti qui, une nuit, sest oublié une dernière fois, lors de son bain orgiaque, aux invectives de la maladie sanguine. Il sera trop TARD.
Déjà, le mal sest peut-être installé en ma chair
Peut-être quil ny a plus rien à faire, plus rien à espérer. Dans ce cas, je dois vivre chaque seconde, en les goûtant en gargantua avare et interminable
Histoire dun personnage. Un être égoïste dont la vie na plus de sens que dans lincertitude et la précarité. Anthony, 22, 23, 28 ou 35 ans, peu importe, a commis une erreur irréparable ? Un malheureux idiot parmi x autres qui sest laissé emporter, en toute confiance, dans lélan amoureux.
Des nanas et des mecs comme Anthony, tous nous en connaissons, tous nous les avons condamné pour leur irresponsabilité et leur sensiblerie ; bien souvent par amitié. Mais chacun de nous, avec ses deux capotes au fond de son jean, est capable doublier un petit bout de latex, un bouclier de survie.
Tous, nous sommes susceptibles à un moment ou à un autre de nous destiner à MOURIR.
Cest comme ça, luttez si vous voulez ! Mais vous nêtes et ne serez jamais à labri. Douche froide dun instant que nous prenons pour bonne conscience.
PSYCHOSE
Il y a une semaine et deux jours, peut-être vous plaignez-vous de dormir seul.
Il y a une semaine et un jour
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