Toute ressemblance avec des situations ou des personnes existantes ou ayant existé serait purement fortuite :-)
J'ai longtemps travaillé en soins palliatifs. Il y avait dans l'équipe un médecin adorable, chaleureux, attentif, disponible, compétent, le médecin dont on rêve pour ses derniers jours, la coqueluche des familles qui revenaient le voir longtemps après le décès de leurs proches. J'avais, et j'ai toujours, pour lui une estime profonde, et pour son engagement une admiration sans bornes.
Nous vivions seuls tous les deux, nous nous sommes retrouvés un soir en toute amitié, et nous avons doucement basculé vers l'intime, comme une consolation mutuelle. Avec lui au moins j'étais tout à fait tranquille, le préservatif irait de soi, nous qui passions nos journées à masser les pauvres os saillants de pauvres très jeunes gens qui mourraient le lendemain. Je ne disais rien, je guettais le moment où il tendrait la main vers la table de nuit, ou la poche de son jean, ou sous l'oreiller peut-être ? Eh bien non, nous avons fait l'amour sans latex, et une phrase trottait dans ma cervelle : "Mais c'est pas vrai... C'est pas vrai..."
Nous n'avions même pas l'excuse de la passion. A-t-il lui aussi attendu que j'en parle la première ? Nous sommes-nous accordé une parenthèse hors du temps et de la conscience ? Ou au contraire était-ce une insolence face à la mort qui nous entourait au quotidien ? Je ne l'ai jamais su. Nous n'en avons jamais parlé, nous qui étions si forts pour faire parler les autres...
Mais au matin, j'avais une certitude : je n'attendrai plus désormais qu'"il" le propose, je prendrai les devants.
Toute la question est de savoir à quel moment on glisse le sujet dans la conversation.
Pendant le repas, en plein resto, quand rien n'est encore sûr ? Bon, il a fait tomber sa fourchette, c'était peut-être un peu tôt.
Beaucoup plus tard, quand on est déjà tout nus, qu'on a très très chaud, et qu'on sent qu'il estime que les préliminaires ont assez duré et qu'on va passer aux choses sérieuses... Vous l'arrêtez d'une main tendre mais ferme : "Tu n'aurais pas un préservatif ?" Il vous regarde comme si vous l'aviez réveillé, vous avez rompu le charme, brisé l'enchantement. Vous auriez dû en parler avant.
Ou alors faut-il qu'il vous trouve en revenant de la salle de bains dans une pose lascive, la chose délicatement offerte sur votre nombril ?
:-)
Je n'accompagne plus les fins de vie.
J'ai choisi la santé et la prévention : Je travaille dans un lycée. Et quand un collègue me cherche, il y a toujours quelqu'un pour lui répondre : "Elle doit dérouler un préservatif dans une classe"...
Je vous souhaite de douces nuits...
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