Cliché :
" Ah vous les femmes modernes !!! vous n'avez rien compris !! vous avez tout perdu ! moi mon mari je l'ai laissé croire qu'il était le meilleur ! Toute sa vie, il m'a trompée , j'ai fermé les yeux, (de toutes façons ils reviennent toujours !!!) j'ai toujours fait comme il voulait, et puis quand il est mort, eh bien j'ai eu sa pension de retraite, vous croyez pas que j'allais rater ça ! finalement moi je suis encore là et je profite !!! tandis que lui ! le pauvre ....!."
Non, je n'ai pas inventé. Elle a vraiment dit ça. Depuis quinze ans elle était veuve. Elle le vivait bien.
Faut dire il avait été plutôt pénible comme mari son Gaston. Un peu autoritaire, il savait tout, il voulait tout gérer, son côté méthodique, ordonné, maniaque, il avait rêvé de "faire militaire" comme il disait, mais la vie en avait décidé différemment, et il s'était retrouvé ouvrier tout simple, avait gravi les échelons, avait fini sa carrière en haut des six étages de sa firme automobile, et finalement plutôt fier de son parcours ! cela ne l'empêcha pas de tomber raide mort un beau matin de printemps sur la moquette rouge de son bureau, à trois mois de la retraite.
Faudra pas dire qu'elle l'avait pas prévenu Gaston ! D'abord il travaillait trop, comme un malade. Il s'était dévoué corps et âme à son entreprise, comme s'il s'agissait de la sienne propre ! Il croyait vraiment qu'il était indispensable, et eux, les patrons, faisaient tout pour qu'il continue de le croire ! Ah des heures il en aura fait et des supplémentaires pas payées, fallait être fou !
Il avait commencé en bas -il aimait à le répéter. Il a fini au sixième, c'est le cas de le dire aussi ! Personnellement elle s'en fichait un peu la Paulette, pendant qu'il était là-bas, elle pouvait passer la pièce tranquille, la wassingue comme il disait lui ! Quand il était à la maison il marchait partout et "ça salopégeait son par terre , nom d'une pipe, fous-moi le camp d'ici je te dis ! ". C'était un des seuls moments où elle pouvait l'insulter sans se sentir coupable. Le reste du temps, elle ne s'y risquait pas trop . Il n'aurait eu qu'à la regarder avec cet oeil mauvais pour qu'elle se sente disparaître dans un trou de souris.
Il décidait de tout. Même du choix de ses robes à elle ! Pour la communion du petit, elle s'en souvenait encore, il avait fallu qu'elle porte une jupe en mousseline grise, elle en avait encore aujourd'hui des nausées en y pensant ! C'était pareil pour tout. A la fin de toutes façons, elle s'en remettait à lui pour la moindre chose, et s'en moquait ! finalement, elle n'eut plus d'idée personnelle et s'en trouva bien. S'il disait on va à gauche, on allait à gauche. S'il voulait aller à droite....cela était égal, elle n'éprouvait plus même d'envie et cela la laissait indifférente. Elle devint indifférente à tout et même à son amour car il l'aimait bien tout de même. Il le lui montrait assez souvent, avec une force et un talent décuplés par sa certitude d'être un dieu pour elle. Il était expert en tout et là il se surpassait. C'était seulement dans cette intimité qu'il pouvait se montrer tendre. Et aussi une fois, quand il avait enterré sa mère. Il avait même pleuré.
Mais cela n'empêchait pas Paulette de lui en vouloir un peu. Pour tout. Elle traînait sa rancoeur. Puis sa colère. Parce qu'un jour, - elle l'avait découvert bien après-, elle comprit qu'il la trompait. Alors là, elle le détesta cordialement mais il ne le sut jamais. Elle fit comme on faisait à l'époque, bien éduquées qu'elles étaient les filles, elles savaient qu'il fallait laisser de la liberté à leur homme, tout de même, histoire qu'il se dégourdisse un peu ! De toutes façons, ils revenaient toujours au bout du compte, alors à quoi bon s'énerver. Suffisait de fermer les yeux. Elle les ferma et pas que çà. Il ne s'en soucia même pas je vous jure, et continua de l'honorer superbement plusieurs fois la semaine comme à vingt ans !
Aussi quand il fut mort et qu'elle devint veuve, elle décida d'être joyeuse. Elle disait que c'était à cause des enfants pour qu'ils ne soient pas inquiets pour elle, pour ne pas les attrister davantage. Elle changea ses vêtements et opta pour des couleurs vives. Pour faire plaisir aux petits enfants ils adoraient ! Elle se maquilla les yeux pour la première fois. Et fréquenta le salon de coiffure plus régulièrement.
Elle voyagea. Refit les voyages qu'ils avaient entrepris jadis ensemble, et les apprécia différemment. Avec plus de conviction et d'intérêt cette fois. C'est elle qui prenait les photos maintenant. Et écrivait les cartes postales. Même qu'elle se mit à devoir choisir les vins au restaurant et cela l'enchanta.
Elle ne passa plus la serpillère. Elle paya quelqu'un pour l'entretien. Et s'occupait uniquement des plantes du balcon. Elle laissa cependant crever le bel hortensia qu'il aimait par-dessus tout..... sans faire exprès mais quand même......
Au bout du compte elle avait eu une vie facile ...Un peu grâce à lui fallait reconnaître ! Elle le reconnaissait. Elle se comparait à quelques voisines moins chanceuses, ou plus exigeantes, qui avaient refusé les compromis et se retrouvaient seules désormais à devoir assumer le quotidien, sans argent ni soutien. Elle songeait à Yolande qui à soixante cinq ans passés se levait dès potron minet pour aller faire du ménage chez les autres et torcher le derrière de plus vieilles qu'elle ..
Tout ça pour n'avoir pas supporté que son mari couche avec sa meilleure amie !
Paulette, elle, avait fait le bon choix. Elle ne regrettait rien. ....Si, quand même, il y avait quelque chose qui lui manquait : c'était cette petite tape sur les fesses, que Gaston lui prodiguait en général en fin de repas, même devant les invités parfois, mine de rien, pour lui signifier qu'il était l'heure de la sieste, et qui la rendait nerveuse : elle se cambrait comme une chatte en quête de caresse et le suivait sans sourciller. Même quand elle fermait les yeux, elle aimait ça.
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