Voici luvre majeure de Camus dont on retient souvent plus ses romans que ses essais. Or Lhomme révolté et Le Mythe de Sisyphe sont pour moi ses deux meilleurs livres. Dans Le Mythe de Sisyphe, Camus concluait à la nécessité du combat sans répit contre labsurde, à la volonté de dépasser lidée suicidaire, née du questionnement existentiel face à linfini et à la relativité de toute chose par la connaissance et la compréhension coûte que coûte. La problématique de Lhomme révolté est à la fois simple, passionnante et, bien quassez évidente, relativement inédite à lépoque : pourquoi la révolte contre loppression et linjustice a historiquement abouti à créer elle-même de loppression ? Cest ainsi plus de deux siècles de révolte à la fois historique et métaphysique que Camus se propose danalyser. Le philosophe passe ainsi au crible dune critique absolument lucide et honnête, les révoltés depuis Sade en passant par Nietzsche, Rimbaud, les révolutionnaires français, les nihilistes russes, Stirner, Marx, Bakounine etc.
Sa critique ne se place bien sûr pas dans langle réactionnaire et cest justement là tout lintérêt de cet essai qui fut pourtant fortement critiqué par les communistes à lépoque. Cest que Camus va très loin et en penseur libre nhésite pas à démonter lambiguïté, les contradictions meurtrières des systèmes révolutionnaires. Aujourdhui, presque deux décennies après leffondrement de lempire soviétique sa réflexion semble empreinte dune remarquable clairvoyance. Camus dénonce ces révolutions qui nont fait que renforcer lÉtat, la terreur et lautorité tout en prétendant labolir. Sintéressant aux « révolutions fascistes » il écrit : « (
) toute forme de mépris, si elle intervient en politique, prépare ou instaure le fascisme. » « Lavenir est la seule transcendance des hommes sans dieu » estime-t-il tout en sattachant à démontrer le côté messianique, religieux, la dérive mystique de bon nombre de révoltes : « Tuer dieu et bâtir une Église, cest le mouvement constant et contradictoire de la révolte » affirme-t-il p. 134. On regrettera peut-être quil ne se soit pas intéressé au cas de lEspagne ou de lUkraine libertaire.
Mais encore de nos jours où les révolutions ne sont plus que des gadgets marketing et médiatiques, il ne faudrait pas se méprendre sur lintention de Camus qui nétait en aucun cas de nuire à la révolte mais au contraire de la ressourcer en la débarrassant de ces scories autoritaires, nihilistes et haineuses. À vrai dire à lépoque, seule la mouvance libertaire avait su reconnaître la justesse de son analyse - bien que Camus ne se soit pas privé de critiquer Bakounine. Car bien loin de condamner la révolte, il appelle celle-ci à prendre pleinement conscience des erreurs faites jusque là en son nom.
Camus termine en appelant à un renouveau de lesprit de révolte libertaire, en célébrant le réalisme du syndicalisme révolutionnaire, de la commune contre lÉtat, en appelant à une révolte de la mesure, débarrassé du ressentiment et du nihilisme, une révolte qui serait tension entre liberté et réalité.
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