Reprendre la main par Jules Félix

Le 7 décembre 2010, la terreur des banques ! À la fin de la journée, quinze banques sont en état de liquidation. L’euro s’est effondré et l’essence a grimpé en flèche. Plusieurs suicides ont été comptabilisés dans l’après-midi. Scénario de mauvais film que voudraient nous faire croire étrangement la plupart des médias qui titrent sur l’initiative complètement stupide d’Éric Cantona de vider les comptes bancaires (tout en se moquant en passant des manifestations de cet automne). « Pour parler de la révolution, on va pas prendre les armes, on va pas aller tuer des gens. Il y a une chose très simple à faire (…). Le système est bâti sur le pouvoir des banques, donc il doit être détruit par les banques. C’est-à-dire qu’au lieu qu’il y ait trois millions de gens qui aillent dans les rues (…), ces trois millions de gens vont à la banque, ils retirent leur argent, et les banques s’écroulent » ("Presse Océan" du 8 octobre 2010). J’en avais touché deux mots ici : http://www.pointscommuns.com/lire_commentaire.php?flag=L&id=92455 Je ne reviendrai pas sur l’expertise financière d’Éric Cantona puisqu’il est dit (avec raison) que tout citoyen a le droit d’avoir son mot à dire (heureusement en démocratie, sinon, il faudrait trouver un autre mode de suffrage qu’universel). Le reproche qu’on peut faire, en revanche, c’est que la grande notoriété footballo-cinématographique d’Éric Cantona l’a aidé à se faire entendre des médias, ce qui est bien regrettable. Christine Lagarde, spécialiste de la révolution… Voir sa révolution ici : http://www.pointscommuns.com/lire_commentaire.php?flag=L&id=92226 …a répliqué le 1er décembre 2010 ainsi (avec un peu de condescendance) : « Chacun son métier, il y en a qui jouent magnifiquement au football, je ne m’y risquerait pas, je crois qu’il faut intervenir chacun dans sa compétence ». Bien sûr, l’initiative fera flop. Comme l’initiative d’arrêter sa consommation d’électricité pendant une heure un autre jour. D’une part, les banques sont suffisamment blindées pour éviter tout risque : généralement, au-delà d’une certaine somme, un délai de quarante-huit heures est demandé. D’autre part, ce n’est franchement pas responsable car cela va à l’encontre des gens qu’il serait censé défendre. Plein d’activités économiques (et donc beaucoup d’emplois) dépendent du système bancaire et notamment des prêts à court terme pour leur trésorerie. Certes, comme cela fera un flop, l’irresponsabilité est très relative, mais le fait que l’idée saugrenue de Cantona soit devenue parole d’Évangile pour près de quarante mille internautes a de quoi inquiéter les intellectuels du pays... Concrètement, à la veille des fêtes, pas mal de gens sont dans le même cas que cet internaute assez désolé de son impuissance : « Retirer quel argent ? Je n’ai plus rien sur mon compte ! ». La règle de prudence, c’est aussi de ne pas retirer trop d’argent en espèces. Ceux qui tomberaient dans le panneau pourraient bien faire les frais d’une vague de vols à l’arraché aux abords des banques. Plus sournoise, Roselyne Bachelot a été toute contente ce 7 décembre 2010 sur France Info de pointer du doigt la grande hypocrisie de Cantona (qui profite du système) : « Éric Cantona, il fait de la publicité pour des voitures, des rasoirs. Son épouse fait de la publicité pour le système bancaire. Je trouve qu’il faut avoir un peu de responsabilité dans la vie quand on est justement un des chantres de la société de consommation ». Elle n’a pas tort… Même la future candidate de Lutte ouvrière, Nathalie Arthaud, a trouvé l’initiative ridicule : « Le problème, c’est que les banques, on en a besoin, elles sont utiles. Par contre, les banquiers qui transforment les salles de banque en casino, eux, on doit le leur interdire ». Le plus piquant, c’est le chroniqueur Daniel Schneidermann qui ne mâche pas ses mots : « Ce qui frappe, dans le traitement de l’affaire, c’est la timidité des objections. (…) Que l’opération "Je vide mon compte" soit non seulement impraticable (…) mais d’abord stupide et dangereuse pour les déposants eux-mêmes, combien de fois l’aura-t-on entendu énoncer, explicitement, dans les sujets radio et télé qui ont proliféré ces derniers jours, à l’approche de la date butoir d’aujourd’hui ? ». Et il finit sur un point d’interrogation : « Comme s’il leur était [leur : les commentateurs] impossible d’aller contre cette colère-là, la colère contre les banques, même quand elle prend des formes ineptes. Comme s’il était impossible, aussi, de dire publiquement qu’on peut être un grand footballeur, avoir été recruté par Ken Loach et, politiquement et économiquement, proférer de parfaites imbécillités ». Un collectif un peu plus responsable a annoncé que ses membres ont retiré leur argent de leur banque et l’ont déposé au Crédit Coopératif : « Retirer son argent des banques, oui, si c’est pour le mettre dans des banques éthiques. C’est le citoyen qui reprend la main ». Sans doute l’initiative la plus prometteuse… Je pense que le pauvre Cantona ne s’attendait pas à ce que sa parole un peu légère soit prise autant au sérieux par le "web" et devienne une mesure phare de la "révolution". Au moins, sa sincérité ne peut être mise en doute : une agence de la BNP-Paribas en Picardie a confirmé à midi qu’Éric Cantona a prévenu la semaine dernière « qu’il allait faire un retrait supérieur à mille cinq cents euros ». Par ailleurs, selon un site d’informations financières, il aurait également fait virer ses sept cent cinquante mille euros de contrats publicitaires de la banque d’affaires Leonardo vers un compte courant au Crédit Agricole. Et pendant ce temps-là, le système tant décrié se consolide…