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Villa Nordhaisie (1) par Misty44

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Comme tous les jours, très tôt le matin, Pierrick, le patron du bar «Le Bidule» faisait sa promenade à vélo sur le remblai en compagnie de Rex, son labrador. Cet ancien marin avait besoin de commencer sa journée par ce rituel qui lui permettait de contempler le ciel et la mer. La météo locale avait prévu pour la journée de la pluie, du vent et une mer agitée, comme la veille. Arrivé à la hauteur de la villa Nordhaisie, Rex, quittant le trottoir où il courait sagement aux côtés de son maître, traversa la route en trombe, sauta par-dessus le portail du jardin et se mit à aboyer en tournant et bondissant dans l’herbe. Pierrick stoppa net. D’où il se trouvait il ne pouvait apercevoir ce qui avait attiré Rex à cet endroit. La villa, inhabitée depuis quelques années, commençait à se délabrer de toute part et le jardin n’était plus qu’un champ d’herbes folles. Elle avait la particularité de se dresser, seule, entre deux immenses terrains vagues, telle une anomalie, un pointillé, une pause dans la course effrénée du temps, un coup d’arrêt à l’appétit insatiable des promoteurs dévoreurs de passé. Le remblai de cette « plus grande plage d’Europe » était devenu un alignement d’immeubles luxueux entre lesquels résistaient, coincées et étouffées, quelques dizaines de magnifiques villas du 19ème siècle. "Nordhaisie" faisait partie de ces splendeurs déchues qui donnaient, avec leurs balustrades, lambrequins et oriels, un aperçu de ce qu’était le Boulevard de la Mer cinquante ans auparavant. Pierrick s’approcha et entra dans le jardin. Il avait les clés du portail et de la maison. Jacob, le fils des propriétaires les lui avait confiées afin qu’il surveille les lieux. Ce dernier vivait aux Etats-Unis depuis quatre ans. Il était parti là-bas, d’abord en tant qu’étudiant, puis s’y était installé pour travailler. Pierrick rejoignit son chien et constata que la porte du garage s’était envolée jusqu’au milieu du jardin. Aux fenêtres, plusieurs carreaux étaient cassés. Il ouvrit la porte et s’aperçut aussitôt qu’il s’était passé quelque chose d’anormal pendant la nuit précédente. Ce qu’il vit confirma sa première impression: vaisselle et objets cassés, tableaux défoncés, meubles renversés, papiers éparpillés, rideaux, canapé et fauteuils lacérés… Rex se remit à aboyer en se précipitant dans une pièce voisine, Pierrick le suivit et aperçut, gisant derrière le bureau, le corps recroquevillé d’une femme, à la tête dissimulée par les tentures. Le chien poussait des petits cris plaintifs en tournant autour d’elle. Pierrick souleva le rideau et découvrit un visage tuméfié et sanguinolent mais qui, malgré cet état, ne lui était pas complètement inconnu. Il lui sembla que la femme avait les yeux entr’ouverts. - Madame ? … M’entendez-vous ?... Je vais m’occuper de vous. Que s’est-il passé ? Ses questions restèrent sans réponse. Elle était inanimée. Pierrick appela police-secours, puis rassuré et soulagé par la prise en charge de la victime, regarda l’ambulance s’éloigner en soupirant : - Je me doutais bien qu’il arriverait des ennuis dans cette maison de malheur! Il referma la maison, replaça tant bien que mal la porte du garage arrachée, puis il siffla son labrador et retourna à son bar. Malgré toutes ces émotions, il réalisa qu’il était grand temps d’ouvrir. Il téléphona à Jacob et lui raconta ce qui venait de se passer. Jacob lui demanda des détails qu’il ne pouvait donner et se rendant compte à quel point la situation donnait à Pierrick des soucis qui n’étaient pas de son ressort, celui-ci prit alors la décision de revenir en France. * Quelques jours plus tard, Jacob arriva sur la côte bretonne avec sa voiture de location, il se rendit directement à la villa de ses parents où il n’était pas revenu depuis trois ans. Une grande émotion le saisit, un mélange de nostalgie, de chagrin et d’appréhension. - Pauvre maison, se dit-il, dans quel état est-elle ! J’aurais dû revenir plus tôt. Il entra et, malgré le capharnaüm, tous ses souvenirs revinrent en masse. Il était à l’Université d’Harvard depuis un an, lorsqu’il avait appris l’accident mortel de ses parents et de ses deux frères. Ce jour-là sa jeunesse s’était arrêtée. Il avait vingt et un ans. Il parcourut la maison pièce par pièce, en commençant par sa chambre. Les yeux remplis de larmes, il regarda les photos des siens. Tous les objets, tous les meubles, les livres, les disques, le piano lui rappelaient des moments précis de la vie d’avant. C’était la première fois qu’il les revoyait depuis l’accident. Après l’enterrement, il était reparti aussitôt aux Etats-Unis, il avait senti que sa seule planche de salut était de retrouver les amis qu’il s’était fait là-bas. * Sortant de sa torpeur, il repensa aux évènements actuels et téléphona à l’hôpital pour demander des nouvelles de la blessée…mais, au fait, il ne connaissait pas son nom… Après quelques instants d’attente, il obtint des renseignements sur son état. La personne était dans le coma. Attristé et perplexe, il entreprit de remettre de l’ordre et de faire le nécessaire pour les réparations. Puis il a appela son bureau à New York, où il était membre associé d’un important cabinet d’avocats. Il prévint qu’il serait absent pendant un mois pour des raisons familiales. Il alla dans le bureau de son père, qui était avocat comme lui. C'était là que Pierrick avait trouvé la femme. Il y régnait une atmosphère de désolation, tout était sens dessus dessous. Dans la cheminée, on avait jeté des livres et des documents dans l’intention, sans doute d’y mettre le feu. Jacob était atterré… mais qui avait bien pu faire cela et pourquoi ? La bibliothèque derrière lui contenait encore tous les œuvres préférées de son père, couvertes de poussière et de toiles d’araignées. Celui-ci lui avait communiqué sa passion pour la littérature. Il ressentit de nouveau l’admiration qu’il avait pour l’érudition de son père, ainsi que la reconnaissance de l’avoir eu comme guide dans ses lectures comme dans ses études, il fut ému en se remémorant les longues et enrichissantes discussions qu’ils avaient tous les deux au coin du feu. * Jacob replaça les livres sur les étagères et aperçut alors, cachée derrière une rangée, une épaisse enveloppe, où se trouvaient des lettres manuscrites. Il reconnut l’écriture de son père sur certaines et une écriture inconnue sur les autres. Il les parcourut rapidement. Il comprit dès les premières lignes qu’il était tombé sur des écrits personnels et intimes. Il faillit arrêter de lire, mais désormais il n’était plus question d’indiscrétion… et puis sa curiosité l’emportait. Des dizaines de lettres féminines signées Mina et autant écrites par son père. Celles de Mina étaient empreintes de tristesse et d’une tendresse à peine voilée. Il y était question de la vie dure en prison, de remerciements adressés à Nathan, son père, …"si tu savais, Nathan, comme tes visites me font du bien !" … ..."Jamais personne ne m’a apporté autant de réconfort"… ..."Est-ce que je ne suis, pour toi, qu’une cliente comme les autres, dis-moi ?... » Et puis, au fur et à mesure des dates qui apparaissaient, l’attachement de Mina pour son père semblait se renforçer. Dans les dernières lettres, elle dévoilait même totalement la nature de ses sentiments pour lui, ainsi que sa souffrance de savoir que tout cela était sans espoir. Les lettres de son père semblaient être des réponses à chacune des siennes. Ses sentiments suivaient le même cheminement que les siens. Chaque phrase contenait les mots qu’il ne pouvait pas lui dire, qu’il n’osait pas lui dire parce qu’il avait fait son choix de vie, parce qu’il était son défenseur avant tout… Jacob s’interrogea sur la présence des lettres de son père. Cela signifiait-il qu’elles n’avaient jamais été envoyées, que Mina ne les avait jamais lues ? Jacob était consterné… Son père, un homme si sérieux, si réservé à force de contrôler ses émotions, si soucieux d’être un exemple pour ses fils, se montrait tout à coup sous un jour totalement inconnu pour Jacob. On ne peut pas dire qu’il n’était pas affectueux, il l’était à sa manière, il était présent, bienveillant, juste, attentif, courtois, tout cela d’une façon pudique, sobre, sans démonstration. Mais Jacob s’était toujours dit qu’il lui manquait quelque chose pour être tout à fait humain. Et tout à coup, il tenait ce " quelque chose " entre les mains… Quel choc ! Peut-être n’était-il pas très loyal envers la mémoire de sa mère, mais Jacob ressentit de la joie à l’idée que son cher père avait pu éprouver ce sentiment-là et devenait, a posteriori, un être plus proche. à sa portée. Ses parents avaient formé un couple assez mal assorti, il semblait à Jacob que c’était sa mère qui avait assombri le caractère de son père avec son extrême froideur et ses crises de colère inattendues qui terrorisaient tout le monde. L’atmosphère familiale était sinistre. Heureusement, il y avait des échappatoires telles que les sorties en mer avec le voilier ou le cinéma des après-midi pluvieux, moments précieux où père et fils savouraient ensemble le goût du plaisir et de la liberté. Seule sa mère vivait en permanence à la villa Nordhaisie, maison qu’elle avait héritée de son grand-père. Son père avait son cabinet à Nantes, auquel attenait un petit studio, ce qui lui permettait de rester sur place lorsque ses affaires l’exigeaient. Quand à lui et ses deux frères, ils effectuaient leurs études lycéennes en internat. Son père ne s’était jamais senti chez lui dans la villa. Celui-ci aurait souhaité avoir une maison à lui, mais ses moyens ne lui permettaient pas d’offrir à sa famille une habitation de ce niveau. Jacob avait souvent été témoin de scènes entre ses parents à ce sujet, ils se séparaient fâchés, sa mère refusant catégoriquement de changer ses habitudes et son train de vie. * Jacob prit ensuite la direction du « Bidule ». Il retrouva sans peine la rue où se trouvait le bar qui est une véritable institution dans cette station balnéaire. C’est un endroit où les clients se pressent autour des tonneaux dressés en forme de tables pour boire du Banyuls ou du Muscat. L’origine du nom de ce bar vient justement du caractère inhabituel de ces boissons dans la région, où l’on sert plus volontiers du Muscadet, et donc surnommées « bidules ». Pierrick et lui se saluèrent chaleureusement, Jacob le remercia pour tout ce qu’il avait fait et renouvela les questions posées par téléphone : qui était cette femme ? que faisait-elle là ? - Ecoute, Jacob, je n’en sais pas plus que l’autre jour. La seule chose que je peux te dire, c’est que depuis quelques semaines il m’est arrivé de la voir assise sur la plage, juste en face de la villa. Même que j’ai trouvé ça louche. Enfin maintenant, c’est à l’hôpital qu’elle est, va la voir si tu veux en savoir plus. Tiens, je te redonne tes clés, la police est déjà passée pour constater l’état des lieux, relever des empreintes et faire son inspection. Les flics m’ont interrogé et m’ont dit qu’ils te verraient dès ton arrivée. Voilà où nous en sommes. N’oublie pas que je peux t’héberger chez moi le temps que tu voudras, c’est d’accord ? - Bon, d’accord, Pierrick, j’accepte ton invitation et encore merci. * Quelques jours plus tard, Jacob appela de nouveau l’hôpital et on lui annonça que la patiente était sortie du coma et qu’il pouvait venir la voir. Le jeune homme s’y rendit aussitôt. Il découvrit une femme d’une quarantaine d’années, jolie malgré son visage encore tuméfié, un bras dans le plâtre, l’autre relié à un goutte à goutte. Elle était encore faible, mais tout à fait consciente. La femme le dévisagea et dit lentement, les yeux ébahis : - Vous…vous êtes son fils ? le fils de Nathan ? ... C’est incroyable comme vous lui ressemblez ! Mais, expliquez-moi, je ne comprends pas… vous êtes de retour vous et votre famille ? - Mais ? non !... je ne comprends pas, vous connaissiez mon père ? Je suis seul… vous ne savez pas ce qui s’est passé ? Mes parents et mes frères ont disparu dans un accident de voiture il y a trois ans. - Nathan…Nathan est…mort ! Votre mère, vos frères…mon pauvre garçon… j’ignorais tout. Et, les larmes aux yeux, elle dit, dans un souffle à peine audible : - … Alors, ça explique tout… ...à suivre (FIN de la 1ère PARTIE)

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