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Pataugeoire à neurones. par Passemoilo

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Place d'Italie. 18 heures. Je me glisse dans le mystère de l'appartement 15 du 7bis. Rien n'a bougé. Tout est dans l'état. Les poulets m'ont laissé carte blanche. Une enquête abracadabrante pour un crime impossible. Le proprio, un type tutoyant la quarantaine, m'attend au fond du couloir. Dans la salle d'eau. Dans son bain. Paraît que ça surprend. Dans le salon, un vinyl poussiéreux se déhanche en boucle sous un diamant fatigué... «Blue Moon...» Curieuse passion pour un gars censé avoir vidé ses premiers biberons sur du Mungo Jerry ! «Blue Moon...» La mélodie des Sœurs Boswell. Je me catapulte direct dans l'autre siècle. J'avais 8 ans. Je sirotais déjà comme un grand. Des sucres trempés en douce dans le tord-boyaux des grands. A quatre pattes sous la table les genoux des dames m'offraient mes premières leçons de choses. Depuis j'en ai fait du chemin. Mais Dieu me garde... jamais trop loin des bouteilles et des dentelles. Les premières ont bonifié avec le temps. Les autres se sont quelques peu abîmées. Mais lorsqu'on contemple le monde au travers, le verre épais d'une carafe possède bien des vertus. Notamment celle de nous aider à prendre des vessies pour des lanternes. Dieu merci ! Que la nuit tous les chats restent gris ! Suffit juste de se carapater avant le chant du coq. Un peu avant que la lumière assassine ne vous banderille le surplus de printemps de vos amantes dans le gras des fesses... Dernier refuge de l'amour propre... Pendant que le violon des Boswell m'accompagne vers le théâtre du crime, un carton griffonné du numéro de téléphone de ma dernière conquête, joue les trouble-fêtes au fond de ma poche. Sous la dictature de mon ange gardien ça fait bien vingt minutes que mes ongles lui font la peau. «Elle ressemble à ta belle-mère» se lamente ma bonne conscience. «Oui mais quel cul!» réplique une petite voix tapie dans la pénombre de mon caleçon. Et mes démons de se mettre à prier pour la survie du numéro de téléphone. Je suis désespéré. La salle de bains est banale. Il est là, allongé dans sa baignoire, peinard comme Baptiste. Un bouquin flotte sur ses genoux. Ce qui reste de sa tête pend lamentablement dans le vide. Sur la faïence du sol une grosse louche de cervelle à la bolognaise disperse son ketchup autour d'une paire de lunettes intacte... «Ce gars là est mort en pleine lecture» en déduit l'avant garde de mes neurones. Je sais. Pas très rassurant comme introduction. Mais le reste de la troupe carbure au diesel. Il leurs faut un certain temps pour s'échauffer, je n'espère pas de conclusion digne de ce nom avant une bonne demie-heure... Désolé. Pour les épauler un peu je leur offre un petit travelling de la pièce... Près du radiateur, avant d'expirer, une relique de bougie s'est ventousé la mèche sur le carrelage Sur le tapis de sol un gros marteau de charpentier brille comme un sou neuf, une longue cordelette de nylon soigneusement nouée autour du manche serpente dans la mare d'eau où baigne l'ensemble... Et enfin le clou de la fête...Le petit «Plus» qui explique ma présence éclairée sur ce calamiteux chantier ; Le verrou de la porte. Un verrou de première qualité qui n'a pas bronché lorsque les flics ont explosé la lourde. Les éclats de bois qui hérissent le chambranle en témoignent. Un remake de la chambre jaune. Le type s'est enfermé à double tour puis il s'est défoncé la poterie à grands coups de marteau. Scène de déprime classique. On prend une douche pour essayer de se détendre... et on finit par partir avec l'eau du bain. Il est trois heures du matin. Derrière son bar le garçon me lance des œillades soupçonneuses. Ça fait un quart d'heure que je joue avec un glaçon sur son zinc. Je vois bien qu'il aime pas ça. Ça fout de l'eau partout. Triste soirée. Les olives se payent ma tronche au fond de mon verre de Glenlivet. J'ai déçu ma belle-mère et j'ai trahi l'habitant du caleçon. Je n'avais pas la tête à ça. Cette histoire de salle de bain m'est restée en travers. Peut-être l'enquête de trop... D'un coup d'éponge rageur le pingouin vient d'enlever ma petite pataugeoire. Un coup de torchon décapant qui me remet droit dans mes bottes. Une vision tonifiante qui relance mes mécaniques... Quoi de plus éphémère que la glace ! Comme dirait ma femme "Bon Dieu mais c'est bien sûr" Je plonge la main dans le seau à champagne, laisse filer quelques glaçons à mes pieds et me concentre sur le porte-parapluie de l'entrée. Mon premier shoot se perd lamentablement sous la banquette voisine. Le deuxième s'en va percuter le cuivre du récipient dans un vacarme de cymbales. Entre les beuglements d'un pochard assoupi et les grimaces du garçon qui râle derrière sa caisse, je viens de tout comprendre... Deux minutes plus tard ma guimbarde pétarade d'euphorie en filant vers la Place d'Italie. Boulevard de Brandebourg. Le rébus se dénoue carrefour après carrefour. Rue Gaston Picard. L'énigme se dévoile dans la lueur des phares. Dans la salle de bain j'ai trouvé un crochet. Discrètement pitonné dans le plafond par mon client... Juste à l'aplomb du bord de la baignoire. Là où sa tête reposait... Et dans le coin où trainait la bougie, un bout de corde de nylon nouée au pied du radiateur... Bingo ! C'est la fête sous mon chapeau. Ça danse la carmagnole. Ça pétille de fierté. La suite n'est qu'une formalité. En inspectant le débarras j'ai trouvé un grand bac... 40... 50 litres, complètement éclaté comme si on avait démoulé son contenu à coup de battoir. Dans le congélo, entre la bidoche et les esquimaux, il y avait encore sa niche... De quoi faire un pain de glace lourd comme une enclume. Le marteau était moulé dedans... juste pour permettre d'arrimer solidement la cordelette au bloc avant de suspendre le tout au plafond... et bien entendu faire rouler l'enquête sur une mauvaise piste. Une bougie placée sous l'extrémité nouée au radiateur lui a laissé le temps d'aller faire trempette en attendant que Damoclès vienne lui tomber dessus. Sur son bureau, bien en vue, une assurance vie au nom d'une dénommée Connie... Connie comme l'ainée des Boswels. Il a fallu attendre l'autopsie pour comprendre que le pauvre était farci de métastases. Sans compter sur le verrou qu'il a probablement tiré par distraction le crime était presque parfait...

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