Correct? Tout sauf ça, chez Villon! Il se rasait au couteau, s'essuyait à la nappe, se braguettait au bordeau en citant du latin et du grec, fessait la grosse Margot, tenait table ouverte de ses rognures d'ongles, et légua l'air du temps à ceux qui en manquait. Voici le quatrain qu'il écrivit à quelques jours d'être pendu en novembre 1462:
"Je suis François, dont il me poise,
Né de Paris emprès Pontoise,
Or d'une corde d'une toise
Saura mon col que mon cul poise."
(Je suis François, et ça me pèse, né à Paris prés de Pontoise, et d'une corde d'une toise mon cou saura ce que mon cul pèse.)
Le premier vers ("Je suis François et ça me pèse") recèle un double sens sur le mot François/Français. A la fois affirmant son prénom et le regret d'être ce poète crotté rejeté de tous. Ni son ancien protecteur le prince Charles d'Orléans, ni ses compagnons de cambriolage qui l'ont dénoncés, ne veulent plus de lui. Mais c'est aussi le regret d'être né Français. Injustice du sol qui lui fait subir un verdict plus sévère que dans les autres provinces. Cette ambivalence de sens montre le sentiment d'injustice qui l'anime.
Le deuxième vers ("Né à Paris prés de Pontoise") souligne le procédé d'inversion des valeurs, le déboulonnage dirait on aujourd'hui, que Villon pratique sur les sots comme sur ses amis. C'est la petite ville qui sert de repère à la plus grande. Nul mépris ici. Rangez vos GPS. Villon est un fou de Paris. C'est Jacques Tati avec l'haleine d'Henri IV. Villon est le premier poète au monde à ne s'intéresser qu'à la ville et à ceux qui y vivent. Nulle trace de nature, campagnes, saisons, de reflets sur la mer, chez lui. C'est le poète urbain par excellence. Cent pour cent pierres de tailles et pavés. C'est là qu'il situe grandeurs et malheurs de l'homme. Au milieu de ses semblables. En cela il est de tout les temps du futur.
Le troisième vers ("et d'une corde d'une toise") montre la qualité du regard de Villon, saisissant le détail, le reliant au tout, posant l'homme au coeur de sa propre mesure et de ses interrogations, comme le téton au milieu du sein. La toise c'est la distance entre l'extrémité des doigts quand nous écartons les bras. C'est la "brasse" des marins. C'est six pieds royaux de trente centimètres (1m 80). C'est l'homme de Vitruve de Léonard de Vinci. L'harmonie des proportions. La recherche du nombre d'or. C'est cette mesure parfaite qui va servir à le tuer.
Le quatrième vers ("Mon col saura ce que mon cul pèse") est du Villon pur sanglier. Humour et doigté technique du poète, de son savoir faire du métier, dans la conclusion de son HaïKu. La légèreté s'amuse de l'effet miroir des deux mots de trois lettres autour de la césure, et de la rigueur logique de l'effet de pesanteur. Villon rit et nous amène à rire avec lui de sa propre mort. Malgré nos efforts et nos prétentions, la vie est une farce qu'elle joue à l'homme. En même temps, chacun est responsable de son propre destin. Comme souvent, le sens n'est pas figé chez Villon. Il s'échappe de son rire moqueur et même de son désespoir.
La bonne nouvelle c'est qu'une grâce survint, et que François ne fût pas pendu. Il n'y aura donc pas d'autre morale à cette histoire sinon ces quatre petits mots au creux des vers qu'il nous a laissé: Justice, Mesure, Humain, Rire....
Les "Braguetteurs" étaient les peintres et plâtriers chargés de recouvrir les tableaux et statues impudiques du Vatican. François Villon m'a envoyé un Sms de supplique pour que je n'en fasse rien dans ce petit portrait et que je rajoute un appendice le concernant. Je n'ai fait qu'obéir aux injonctions du maître... Voici son appendice:
"Que celui qui me reproche un portrait non académique et compte encore les rimes sur ses doigts me tourne le dos. D'une pointure de 43, son cul saura ce que mon pied pense. (sourire)
Quand aux belles, si ce petit texte leur plait, qu'elles pensent à moi en rêvant, car je n'aurais de cesse d'avoir à leurs moindres désirs la réponse immédiate.... jusqu'au réveil. (sourire)."
Les poètes ne sont pas indispensables à la vie. Mais ils sont comme les chats, ils la rendent plus supportable. Merci François par delà les siècles, merci pour tous ceux à qui tu as remonté le moral au moment où ils allaient faire une bêtise...
Bonne nuit à toutes et à tous....
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