Ça commence par une larme de pierre. Là-haut tout près du ciel. Une larme trop longtemps retenue par cette immense montagne.
Sous le regard étonné des dieux tu jaillis d'une entaille. Des sourires t'accompagnent vers ton berceau de mousse.
Une alcôve de granit t'offre tes tous premiers cailloux. Premiers joujoux qui roulent lorsque tu gazouilles. Clair comme de l'eau de roche ton rire résonne autour de toi.
Intrépide tu rampes vers les à-pics. Affamé tu ronges les parois. Tu chemines nuit et jour vers de nouveaux jouets. Dans l'ombre des murailles tu givres l'herbe rare. Entre les grès brulants tu te mires au soleil.
La colère des cieux nourrit ton appétit. Debout sur les galets, tu grandis sous la pluie. Tu écumes ton plaisir jusque sous les cascades.
Premiers amis, premières bêtises. Tu t'acoquines à des ravines. Ta jeunesse bouillonne, ton ivresse te pousse hors de la voie.
Te voilà chef de bande là-bas sur les hauteurs.
Tes vieux jouets t'agacent, surtout les soirs d'orage. De vulgaires caillasses que tu balances, que t'éparpilles avec rage autour de toi.
Premiers barrages, premières frayeurs. Pour peu de bruit et trois broutilles une méchante cour de béton gris te tyrannise et te dégrise.
La justice des hommes te met au pas. Le châtiment est bien sévère. Derrière ta falaise tu pleures ta mère et tu déprimes.
Un peu vaseux tu rêves d'avant. Aux bons moments que tu regrettes.
Aux pommes de pin qui tournaient sur ton nez. Aux truites qui roulaient sur ton ventre.
Une cloche sonne et te voilà dans la cohue. Ça se bouscule et sa turbine dans les couloirs de béton gris. La grande récrée est terminée.
Un grand plongeon vers l'inconnu.
Tu laisses ton innocence au porte-manteau et ta folie sur le rivage.
Une pirouette dans le fond de ton lit, te revoilà à la surface. Dans la pénombre d'un tableau noir. Quelle drôle de farce.
Une autre histoire.
Un autre cours où tu te troubles.
Sur tes berges une forêt de porte-plumes hauts comme des roseaux t'écrivent quelques bons mots... Ceux qu'il te faut, pour aller loin. Il faut survivre aux hommes.
Dans cette longue la vallée où tu te coules en douce, le héron gris arpente ton savoir en croquant des goujons.
Tu excelles en géo mais tu rames en calcul.
Faut dire que tes grenouilles gonflées comme des éponges s'endorment sur tes ardoises sans souffler les réponses.
Des oiseaux blancs comme des cahiers te parlent de choses étranges. De champs de pommiers pleins de fruits sur les branches, d'additions touffues et grises comme les grands saules. Tu te désoles.
Tu pleures sur ton sort... que c'est dur de grandir. Dès la tombée du jour tu t'endors comme un loir sans compter les moutons qui frisent dans les prairies.
Comprenant que tu ne seras jamais président, tu t'adonnes aux délices de la paresse... Tu te glisses sous les loutres, bouscules les nénuphars pour voir voler les libellules. Et tu t'empêtres dans les hameçons pour emmerder quelques pêcheurs.
Tout ça jusqu'à l'automne.
Un automne pluvieux qui fait mousser la terre. Tu jaunis sous le limon qui bave. Ça te rends soupe au lait. Tu te sens incompris.
Alors poussé par la pluie ta complice, tu te rebelles. Tu débordes d'amertume. T'embarques tout sur ton chemin. Des ponts de bois que tu renverses. Les imprudents que tu emmènes.
Ton âge ingrat fait des ravages.
Au détour d'un vallon tu la rencontres enfin.... l'amour sur le gravier... tu ne t'y attendais pas.
T'enroules tes méandres dans ses bras tièdes de fille des plaines. Elle est ta reine.
Sous la brume du soir comme un fauve tu l'enlaces en grondant doucement. La nuit dans ses reflets dormants tu glisses quelques étoiles.
Elle te semble capricieuse, s'égare dans des canaux, se mélange aux étrangers qui végètent dans les près.
De colère tu la quittes. Partout sur les eaux elle te cherche. Et toi comme un idiot tu l'évites. Pire tu te barricades comme un malade dans le fond des écluses. Ta ruse l'amuse, elle t'offre la lune et tu reviens.
Vous renaissez à l'ombre de barques pleines de filles. Elles badinent sous des ombrelles, vous émoustillent de leurs secrets.
Leur jambes nues qui batifolent sur l'eau vous affolent. D'une feuille abandonnée sur l'onde tu l'effleures. Elle t'éclabousse de son rire en ricochant dix fois sur ta peau.
Le silence équivoque des canots qui dérivent vous enflamme. Ça glousse et ça chuchote sur les flots immobiles.
Et tout se trouble. D'un profond tourbillon tu lui ouvres ton lit.
Le majestueux remous qui la répand sur toi, te noie dans un déluge de frissons aquatiques.
Tu écumes.
Tu mousses jusqu'aux racines de tes berges.
Une gerbe qui ruisselle sur les pierres du vieux pont et voilà que tu inondes le lavoir du village... de têtards par centaines.
Ça fait bien rire les lavandières. Des grenouilles de bénitiers, il y en a déjà plein l'église !
Le temps a passé. La sagesse te fait faire des tours et des détours pour rallonger tes jours. Méandre après méandre tu décomptes en silence.
A présent quelques rides ondulent sur ton miroir. Histoire de te rappeler que rien n'est éternel.
Ta vie se fane déjà.
Un matin sans histoire, une curieuse lumière effilochera tes brumes.
Une lumière sous laquelle tu t'étires bien plus qu'à l'ordinaire, bien loin dans les terres.
Celle de l'océan où tu vas disparaitre.
↧