Quand jétais môme, à la cantine, on nous servait souvent des épinards avec des ufs à la sauce blanche. Nous avions horreur de ça. Ces ufs gluants qui pataugeaient dans une sauce fade et laiteuse, passe encore
mais la bouillie dépinards : impossible ! Cette masse verte à lodeur âcre nous rebutait au plus haut point.
Surtout, il y avait cette rumeur insidieuse : ce nétait pas de vrais épinards mais lherbe des pelouses recyclée pour loccasion en denrée pour écoliers. Aussi étrange que cela puisse paraître, nous y croyions dur comme fer. Dailleurs, chaque fois que le jardinier tondait les pelouses de lécole, nous avions, le lendemain, un monticule de chlorophylle brute dans nos assiettes. Et puis, les portions étaient généreuses, contrairement aux parts de frites ou de mousse au chocolat : cela cachait bien quelque chose ? Nous haïssions alors lintendant et les viles économies quil faisait au dépend de nos appétits denfants.
Par hasard, il y a quelques jours, je fus amené à fréquenter le restaurant universitaire du campus. Javais simplement oublié ma gamelle. Face à la ligne du self-service, quelle ne fut pas ma surprise dy retrouver mes chers ufs à la sauce blanche et leurs amis les épinards. Par nostalgie, je décidai de faire limpasse sur le riz et le poisson pané et joptai pour le duo ufs-épinards.
Une fois assis face à mon plateau, lodeur forte des épinards me titilla rapidement les papilles. Ceci ne me fit pas saliver comme laurait fait un vulgaire lapin à la moutarde ou une blanquette de veau même moyennement réussie. Non, le fumet qui envahissait mes cloisons nasales avait pour effet de faire remonter à la surface tous mes vieux souvenirs de cantine, ces moments de pure détente qui permettaient, à eux seuls, de supporter une longue journée de cours.
Pauvres externes. Pour se remettre du calcul et de la conjugaison, pour oublier la dictée et les cours de gymnastique sous la pluie, ils navaient ni la bataille de petit-suisse ni le chahut systématique. La cantine, cétait bien plus amusant que de se niquer les genoux sur les gravillons de la cours de lécole sous le regard noir des pions.
Que de souvenir de réfectoires. Que de discussions où, touts minots, nous refaisions déjà le monde. Ou plutôt, nous construisions notre monde. Toutes ces promesses que lon se fait à 10 ans bien avant de perdre ses espoirs et ses illusions. Alain dit « Bouboule » qui ne se sentait bien que dans un champ ou dans un pré et qui aujourdhui vend des parpaings et autres matériaux de construction dans une banlieue grise ; Antoine dit « le Toine » qui voulait être astronaute
ou cosmonaute, il ne savait pas bien. Aujourdhui il est chef dexploitation agricole
ou agriculteur, on ne sait pas bien ; Victor dit « Totor » qui ignorait ce quil voulait faire et qui dailleurs, 30 ans après ne le sait toujours pas
ça tombe bien, lANPE non plus ne sait pas quoi faire de Totor ; Guillaume dit « la Lèche » ou « Cafetière » qui voulait être notaire, comme papa et qui est notaire
comme papa.
Face à mon plat dépinards, je revivais mes 10 ans
Mais les sentiments ont une fin lorsque lhomme a faim. Je laissai tranquille mes souvenirs et mangeai rapidement mes ufs. Alors que jallais commencer à déguster mon plat dépinards, je me rappelai tout à coup un détail surprenant : la veille, javais dû fermer la fenêtre de mon bureau en début daprès midi car une tondeuse à gazon faisait un raffut terrible
Cette coïncidence me fit sourire et je plongeai ma fourchette dans mes épinards. Celle-ci en captura une belle portion
Mais avant de les emmener à ma bouche, je laissai retomber dans lassiette fourchette et contenu. Je nallais quand même pas manger de lherbe !!!
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