A mon ex...en mémoire de nos jeux par Sablaise1

Quand nous nous sommes rencontrés il y avait plusieurs années que je lançais les dés pour gagner le grand amour et que tu jouais aux dames. Les partenaires changeaient, les parties se succédaient et nous avons été assez surpris de voir la nôtre s’éterniser, il faut croire qu’il nous était apparu comme une évidence qu’elle allait être bien plus passionnante que toutes les autres. Nous sommes allés l’inscrire dans la durée devant monsieur le maire et, puisque tu tenais à ce que ton dieu soit notre atout, devant monsieur le curé. Alors a commencé pour nous le jeu de société ordinaire, celui que tous jouent mais que nous nous sommes efforcés d’agrémenter de drôlerie, de tendresse et de poésie pour qu’il ne devienne jamais lassant. Comme tout le monde du lundi au vendredi pour gagner notre vie nous avons joué chacun de notre côté, toi c’était un jeu d’extérieur avec des pions orange sur un tapis gris et moi un jeu d’intérieur avec des chiffres et des lettres. Comme tout le monde nous avons joué au Monopoly et nous y avons gagné une maison. Nous avons acheté plutôt du côté violet et bleu clair que du côté vert et bleu foncé et pourtant après il ne nous restait plus guère de billets à la banque. Comme tout le monde nous avons joué pendant des années avec notre fils aux sept familles, au nain jaune, au jeu de l’oie, au mikado et aux petits dadas. L’été nous faisions une partie de mille bornes pour changer un peu de décor. Notre fils a grandi et nous a préféré d’autres compagnons de jeux, nous avons continué la partie à deux. Elle nous intéressait encore beaucoup même s’il fallait de plus en plus d’imagination pour qu’elle ne soit pas répétitive. Pas plus que moi tu n’aimais le poker menteur aussi un jour en plein jeu d’échecs tu m’as annoncé tout de go que tu voulais continuer la partie à trois. Ce n’était pas possible puisqu’il était inscrit dans la règle que ce jeu se jouait à deux. Alors tu es allé jouer avec l’autre en emportant l’échiquier. Fin de partie. Bonne joueuse jusqu’au bout, j’ai su perdre avec tristesse mais sans colère ni rancœur. Un an après pour toi le jeu était fini, ta nouvelle partenaire t’avait fait mat. Tu aurais dû prendre le temps de réfléchir avant de tout miser sur elle, trop tard les jeux étaient faits. Nous aurions pu rejouer ensemble mais il n’est pas facile de reprendre une partie longtemps interrompue quand le fil est perdu et l’enthousiasme disparu. L'univers ludique avait changé depuis le temps de notre jeunesse, il était devenu possible de trouver des partenaires sur internet, nous avons donc cherché chacun de notre côté. Habitués à un jeu de qualité nous ne pouvions nous contenter de tricheurs ou de nuls, la recherche s’est avérée difficile. Au bout du compte nous avons fait quelques parties intéressantes mais aucune n’a duré. Nous avons partagé plus de réussite que d’échecs et nous n’avons jamais joué à la bataille. Pendant un quart de siècle j’ai été ta reine, tu as été mon roi et nous avons été ensemble un peu fous sur le grand échiquier de la vie, comment pourrions-nous l’oublier ? Nous aimons nous retrouver de temps à autre chez toi ou chez moi, parfois notre fils nous rejoint et nous jouons tous trois ensemble au Memory.