Il avait essayé plusieurs sites de rencontres mais las de recevoir des messages pleins de fautes lui proposant une relation « sans prise de tête », il avait renoncé.
Pourtant il regrettait davoir refermé cette porte ouverte quelque temps sur un monde de possibles. Un jour il eut lidée de consulter loracle google, il tapa « sites de rencontres » plus « culture » et la réponse apparut : pointscommuns.
Il sinscrivit et remplit sa page.
Tous les jours il allait sur le site mais sa boîte aux lettres restait désespérément vide, on lui disait en bas à droite quil pouvait augmenter sa visibilité en figurant au top commentaires. Au début il ne comprit pas, il navait pas perçu la spécificité de pointscommuns, puis il vit à gauche le mot commentaires. Il cliqua et on lui proposa des textes, il les lut les uns après les autres et cela lui plut. Très vite il prit lhabitude de noter ceux qui lui plaisaient et daller mettre son grain de sel dans les réactions qui suivaient. Un jour il franchit le pas, il rédigea son propre commentaire. Cétait une critique assez brève dun livre quil venait de terminer. Il hésita un peu avant de lenvoyer, il nest pas si facile de sexposer par caractères interposés quand on na pas lhabitude de le faire. Laccueil fut modeste mais sympathique.
Il senhardit et fit régulièrement des commentaires plus longs et plus personnels dont le devenir ne laissait pas de le surprendre.
Souvent il pensait avoir écrit quelque chose dintéressant et lavoir bien écrit mais navait guère de retour. Parfois des réactions en cascade venaient sinscrire au bas de son texte qui à bout dun moment navaient plus aucun rapport avec celui-ci, comme si sa page était devenue malgré lui le dernier salon où lon cause. Mais il y avait toujours une petite phrase de quelquun qui avait apprécié le fond ou la forme ou les deux et cela lui faisait chaud au cur et lui donnait lenvie de poursuivre.
Il réalisa un jour quil nallait plus sur pointscommuns pour y faire une rencontre, dailleurs seules quelques femmes vivant à lautre bout de la France lui avaient envoyé messages et dédicaces, mais pour lire, réagir, écrire et être lu.
A quel moment saperçut-il que cette histoire de commentaires prenait trop de place dans sa vie, il ne sen souvenait pas.
Progressivement publier des commentaires était devenu très important, puis le plus important.
En voiture il écoutait les informations à la radio et quelque chose le frappait, il pensait à un commentaire. Un article dans le journal, une affiche sur un mur, une discussion avec un collègue lui en suggéraient dautres. Les heures interminables passées au travail linsupportaient, il attendait impatiemment dêtre rentré chez lui pour se mettre devant le clavier et commencer à écrire. Il ne répondait plus aux invitations de ses rares amis et sortait le moins possible pour consacrer tout son temps libre à lécriture.
Il ne se passait plus de jour quil nécrivît un commentaire.
Petit à petit il perdit le sommeil.
Il arrêtait lordinateur de plus en plus tard après avoir relu et corrigé le commentaire quil publierait le lendemain. Il éteignait la lumière mais ne pouvait sendormir, il pensait à tout ce qui allait encore de travers dans le texte quil venait décrire. Il sinterdisait de redémarrer lordinateur mais rallumait la lampe et prenait des notes pour de futures corrections sur le bloc laissé à propos sur sa table de chevet. Il éteignait à nouveau la lampe mais alors lui venait lidée dun texte sur un tout autre sujet, de peur de loublier il rallumait et reprenait le bloc. Il finissait tout de même par tomber de sommeil et dormir quelques heures sur le matin.
Au milieu dune nuit blanche il réalisa quil était en train dy laisser sa santé et quil fallait absolument arrêter le défilé permanent des commentaires dans sa tête.
Il pensa dabord à la solution radicale, se désinscrire de pointscommuns, mais il nen aurait jamais la force. Alors parler de son problème mais à qui ? A un ami, à sa mère toujours compréhensive, à un psy peut-être. Il simagina déballant inutilement toute lhistoire de son addiction hors du commun, qui pourrait jamais comprendre ?
Soudain il eut un grand sourire, il lui était venu une idée, après tout il y avait quelque part des gens qui comprendraient et laideraient. Il se leva, démarra lordinateur et chercha pointscommuns. Il cliqua sur rédiger un commentaire, voyons quel titre choisir
il trouva aussitôt, ce serait « la névrose du commentaire ».
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