C'est l'histoire du Dr Sigmund Freud, médecin-psychiatre, qui s'en revient tous les jours tranquillement de son cabinet médical à son domicile privé une fois les consultations terminées.
Travaillant Boulevard Montparnasse, il traverse quotidiennement, pour ce faire, le Jardin du Luxembourg, admirant au fil des saisons, les plates-bandes de primevères ou les vasques débordantes de chrysanthèmes, les bateaux téléguidés des petits enfants sur le Grand Bassin l'été s'il n'est pas trop tard, saluant mentalement à chaque fois le Musée du Luxembourg aux accrochages si variables, tutoyant d'un coup de cils la République en la personne de ses sénateurs, jetant un oeil débonnaire à la pendule du Sénat.
Une fois traversé le Boulevard St Michel, le voici rue Guy-Lussac où il gîte. Au cinquième étage. Il attend donc en sifflotant l'ascenseur antédiluvien qui, vaille que vaille, emmène chacun dans ses respectifs foyers.
Et, très souvent - car le Docteur Sigmund est un homme ponctuel - il croise, attendant comme lui la vieille machine grinçante, son cher ami et bon voisin, Monsieur Plume. Et, de concert, ces deux-là échangent des propos diserts sur le quartier, le temps ou le monde comme il court, bref, des chuchotis de deux très bons voisins. C'est leur habitude du soir à tous les deux.
Et voici qu'un soir se joint à leur rendez-vous vespéral un tout nouveau voisin inconnu d'eux. Courtois et bien élevés, le Docteur Sigmund et Monsieur Plume ouvrent la porte de l'ascenseur, tenant la porte au nouveau voisin à qui, sans s'être concertés, ils laissent la préséance pour envahir le petit espace de la cabine.
Tous les trois bien installés dans l'étroite boîte ascensionnelle, chacun appuie sur le bouton de son étage. Or il se trouve que le nouveau voisin a la taille d'un grand long mince dégingandé, quand le Docteur Sigmund, par contre, ne dépasse pas le mètre soixante-cinq, et affiche une magnifique tonsure, le haut de son crâne brillant comme un sou neuf sous le néon anémique de la cabine.
Et les deux compères, comme de bien entendu, de commencer leur petite conversation, le nouveau s'enfermant dans un mutisme profond.
Tout à coup, sans qu'aucun signe avant- coureur ait pu laisser augurer d'une pareille attitude, le nouveau se penche au-dessus du petit psychiatre et, placidement, lui crache sur le crâne un mollard épais, un crachat glaireux à souhait, sans plus d'explications, mutique, reprenant aussitôt sa position initiale sans un mot.
Monsieur Plume, silencieusement outré, voit alors avec stupéfaction le Docteur Sigmund sortir placidement de sa poche d'imperméable un mouchoir, et, très calmement, s'essuyer sans un mot le cuir non chevelu, puis replier en quatre soigneusement le carré de coton qu'il remet dans sa poche tout en continuant quelque conversation badine. Ce soir-là, chacun descend à son étage, sans plus de commentaires.
Et, dorénavant, c'est tous les soirs que cet affligeant spectacle se reproduit sans que le docteur concerné n'en conçoive apparemment la moindre rogne : on dirait qu'il est ailleurs... Chaque soir, désormais, le nouveau se penche, crache sur l'occiput du médecin, le docteur s'essuie alors le crâne avec soin, et continue de deviser comme si de rien n'était.
Arrive enfin un soir où le docteur et Monsieur Plume se retrouvent seuls à monter dans l'ascenseur, selon leur ancienne habitude, sans l'intrusion du nouveau. Monsieur Plume n'y tenant plus, s'écrie alors à l'adresse de Sigmund :
"- Ah mais ça alors, mon cher voisin, vous allez trouver que je me mêle de ce qui ne me concerne pas, mais il se passe ici depuis plusieurs soirs une chose particulièrement choquante et vous ne réagissez pas ! Éclairez-moi, mon cher, car ce qui se fait ici tous les soirs est particulièrement choquant ! Je vous écoute !
- Mais je n'ai rien à vous dire bien au contraire. Ne parlons de rien. Car si Monsieur le nouveau voisin a un problème, c'est son problème, et non pas le mien ! D'où ma si belle tranquillité, mon ami....
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