la frontière incertaine et constamment remaniée de la misère et du crime par Jules Elysard

Il est des livres dont le titre résonne dans la tête. On se dit qu’ils recèlent quelques secrets publics. Parfois on est déçu à la lecture. Tiens, voilà un titre qui ne tient pas ses promesses. Et parfois on y trouve formulées des intuitions qu’on a pu avoir. C’est ce qui m’est arrivé en lisant CLASSES LABORIEUSES ET CLASSES DANGEREUSES. Le livre est paru en 1958, l’année où le général de Gaulle revenait au pouvoir. Peu après, la presse allait parler des blousons noirs. Cinquante ans plus tard, le sujet est abordé fréquemment par Nicolas Sarkozy, Eric Zemmour et autres spécialistes de la délinquance. Le livre est rarement cité par ces experts. S’ils le faisaient, il ne manqueraient pas de détourner le titre : CLASSES PARESSEUSES ET CLASSES DANGEREUSES, par exemple, ou CLASSES VICIEUSES ET CLASSES DANGEREUSES. Mais passons… Passons à un survol du livre pour donner envie de le lire. Il composé de 3 « livres » dont les titres peuvent sembler rébarbatifs : 1- LE THEME CRIMINEL, SON IMPORTANCE ET SA SIGNIFICATION (230 pages) 2- LE CRIME, EXPRESSION D'UN ETAT PATHOLOGIQUE, CONSIDERE DANS SES CAUSES (170 pages) 3- LE CRIME, EXPRESSION D'UN ETAT PATHOLOGIQUE, CONSIDERE DANS SES EFFETS (290 pages) Le deuxième « livre » est divisé en deux parties : L'ACCROISSEMENT DE LA POPULATION et LA COMPOSITION DE LA POPULATION. Les troisième « livre » est divisé en trois partie : LES FAITS, L’OPINION et LE COMPORTEMENT. Le livre comporte quelques tableaux statistiques, mais ils sont regroupés en fin de volume. L’approche de Louis Chevalier n’est pas seulement statistique ; elle est aussi littéraire. Dans le premier livre, qui compte cinq chapitres, trois sont consacrés à « la littérature pittoresque », Balzac et Hugo. Louis Chevalier nous fait descendre et remonter le boulevard du crime. « La métamorphose du thème criminel en thème social dans la littérature dans la première moitié du XIXè siècle traduit une évolution des faits et une évolution de l’opinion », écrit-il en commençant son chapitre sur la littérature pittoresque (Mercier, Janin). Pourrait-on écrire aujourd’hui : « La métamorphose du thème social en thème criminel, ou mieux, en thème de l’insécurité, dans la littérature au tournant du troisième millénaire traduit une évolution des faits et une évolution de l’opinion. » ? Dans son chapitre sur Balzac, il note que « La statistique agit comme un multiplicateur d'opinion » et que « La mesure du crime change la nature même du crime ». Dans son chapitre sur Hugo, il s’attache essentiellement à deux œuvres : Les derniers jours d’un condamnés et Les Misérables, cette dernière résumant « jusque dans son titre » « les rapports entre la condition prolétarienne et le condition criminelle ». Et il s’attache plus particulièrement à l’emploi des mots. Ainsi, « ce mot, « misérables », qui continue, tout au long de la rédaction du livre, cette évolution (…) jusqu’à exprimer pleinement ces rapports complexes entre les classes laborieuse et les classe dangereuses (…) Au dernier terme de cette évolution, le mot « misérables » ne désignera même plus, comme aux époques précédentes, l’une ou l’autre de ces catégories sociales, aussi distinctes qu’au jugement dernier, ou dans les définitions qu’en donne Littré : d’une par les criminels, d’autre part les malheureux. Il s’appliquera de plus en plus fréquemment et de plus en plus totalement à ceux qui sont à la fois, ou plus ou moins, malheureux et criminels, à ceux qui se trouvent à la frontière incertaine et constamment remaniée de la misère et du crime. » « Louis Chevalier, né le 29 mai 1911 à L'Aiguillon-sur-Mer (Vendée) et mort le 3 août 2001 à Paris, est un historien et démographe français, professeur au Collège de France et spécialiste du milieu parisien. Il a apporté une nouvelle méthode de description sociale. » (Wikiped) Le Collège de France lui a consacré une petite note http://www.college-de-france.fr/media/ins_dis/UPL54399_Homchev.pdf