Lorsque jétais étudiante, je travaillais, comme la plupart dentre nous, pour alléger le budget parental qui métait alloué tous les mois.
Javais trouvé un poste dhôtesse chez Moët et Chandon. Je faisais visiter les caves.
Normal pour une bulle, me direz-vous ! Ma connaissance approfondie de lalchimie de ce vin pétillant mavait propulsée en haut de léchelle des crus : je prenais en charge les VIP.
Que danecdotes juteuses jai pu vendanger ces années-là !
Je me souviens de deux dentre elles, de grands millésimes.
Jaccueillais par une belle journée dété, six gros messieurs qui transpiraient dabondance et souhaitaient plonger dans les profondeurs crayeuses pour se rafraîchir un peu.
8°C est la température idéale pour la conservation du vin.
Nous descendîmes dans les boyaux obscurs et humides du ventre de la vieille dame.
La visite dura une heure au terme de laquelle une question effervescente me fut posée :
« Dix millions de bouteilles, vous dites, cest kolossal, elles sont vides ou pleines ? »
« A votre avis, mein General ? «
Ah oui, jai oublié de vous dire que ces patrons dentreprises venaient doutre-Rhin.
Nous remontâmes ensuite dans le petit salon pour déguster une grande année. Je leur fis visiter le vignoble puis nous terminâmes la soirée à lOrangerie, où un repas nous fut servi. Cest alors que lun dentre eux me tendit un paquet enrubanné : « pour vous remercier de votre amabilité, me dit-il ».
Je mattendais au pire et ne fus pas déçue.
Ces Generaldirektoren dirigeaient des usines de lingerie fine. De gros bonnets !
Aubade, Barbara, Chantal Thomas, Dim, La Perla, Passionata
made in Germany.
Mein Gott ! Un ensemble pigeonnant et jarretellisant rose bonbon ourlé de dentelle noire :
du meilleur goût ! Je pouffais avec discrétion en découvrant la taille : du 56.
Un bataillon entier de pom-pom girls aurait pu y glisser leurs petits fessiers.
« Ach ! zu gross ! « Il avait vraiment lair affligé, le pauvre Siegfried, en tâtant des yeux mon petit 38.
« Ne vous faites pas de mousse, tout va bien ! » lui dis-je !
Cest alors que le fou-rire me prit. Une cascade de bulles irisées, effrontées, impertinentes.
« Prosit ! Gott mit uns !
Quelques semaines plus tard, javais rendez-vous avec quatre italiens à lallure mafieuse.
« Vous parlerez avec les mains !» mavait suggéré la maîtresse des lieux, à qui je faisais remarquer mon ignorance de la langue de Dante. « Mais soyez vigilante ! » avait-elle ajouté.
Javais étudié un parcours éclairé pour éviter de faire coincer la bulle dans quelques recoins obscurs.
La visite se passa bien. Mes explications muettes, ponctuées donomatopées suggestives, Bzzzzzz ! Bloup bloup ! Pschitttttt ! Paf ! (cest la malolactique en marche !) et quelques tours de main adroits, avaient su remplir leur office.
Le soir, à lOrangerie, un buffet garni, décoré de brassées de fleurs et de tiges de palme nous attendait.
Et soudain, Roméo se précipite vers le fond de la salle, rafle tout et revient les bras chargé dune gerbe improvisée, mettre genoux à terre, devant la bulle médusée.
« Bulla Regazza, voulez-vous mépouser ? »
« E que non ! »
« E que si ! » « si tou ne veu pas, je me zette presto illico dans laqua du lac «
Lannée suivante, japprenais litalien !
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