Petites rêveries au bord dun visage aimé.
Votre regard s'obstine à lever son mystère, à chercher son secret.
Il épouse son contour , s'attache à la courbe soyeuse de la joue.
Mais tant de reliefs changeants, tant de couleurs fugaces qui s'esquissent et s'estompent...
Comme une surface mouvante de reflets passagers...
Limmobiliser ne serait daucune aide, puisquil demeure lui-même en toutes ses expressions,
dans une durée incompressible, comme le prouve assez cruellement laspect comique de nos visages dans la plupart de nos photos
.
Reste, si la situation sy prête, à le prendre en ses mains.
Mais lénigme redouble alors dintensité : pour peu quil y ait quelque tendresse dans ce geste, vos mains découvrent avec étonnement quelles sont sculptées par ce visage sculpteur.
La forme est déjà là, incarnée, et se donne au toucher qui lapprend.
Il ne la prend pas.
Que quelques mots viennent à naitre de ses lèvres, et le visage est un sphinx :
nul besoin quil pose des questions insolubles.
Quant à la voix, chair dépouillée du corps
..
Ce qui est dit peut être entendu (dans tous les sens du terme).
Mais la voix elle-même ne peut être quécoutée, jamais vraiment comprise :
belle idée antique que celle de la « musique des sphères » :
quelque chose dans la voix qui vient toujours dailleurs, et parfois, de plus haut.
Qui survit à nos traits
Navez-vous pas souri de ces dessins enfantins qui représentent le corps tout entier dans le rond dun visage ?
Ce sont les enfants qui voient juste : un visage aimé na pas de parties séparées, ou, (nest-ce pas la même chose ?), il est la source invisible doù elles éclosent, et est partout en elles.
Le regard qui cherche ce point obscur à la surface visible des lèvres et des yeux, nest-ce pas ce regard aimant dont le cur est aveugle ?
Donc voyant ?
Du lieu de leur retrait, ces formes voient, écoutent et fouillent votre propre insistance à percer leur énigme.
"Le grand mystère du monde, c'est qu'il n'y a pas de mystère », disait Hegel.
Mais vous ne croyez pas le grand penseur désenchanté: ce qui est vrai du "monde" ne l'est pas de ses "habitants".
Vos yeux sont attirés par un frisson des lèvres qu'un sourire vient frôler.
Quelle surprenante énigme que la Chair puisse faire sens...
Patience et souffrance des peintres!
Et des grands photographes !
Entre le rose de la joue et l'arc duveteux des sourcils, la fente si précise des yeux recèle le plus étrange...
Et le plus inquiétant...
A regarder des yeux, regardés et regardants, vous voilà tout ensemble voyant et vu, égaré, comme exilé dans cet entrelacs...
Mais par là rendu à vous-même et chez vous hors de vous.
En cette Terre poétique où ne vaut nul titre de propriété...
Notre Patrie à tous.
Votre regard vous a échappé: vous n'êtes plus ni son foyer ni même l'horizon qui bornait votre monde.
Vous flottez dans l'entre-deux, sujet déraciné de la Rencontre.
Ne serait-ce pas cela-même, le sourire de la Vie?
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