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J'ose cette ré-édition puisque le père désormais appartient au souvenir par Vraiedevraie69

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Prières pour les femmes battues Prières pour les enfants battus Prières pour ma mère Prières pour mes soeurs et leur mère Prières pour mon père Nous chuchotons ton nom comme dans le noir Comme dans l'ombre d'une malédiction Le silence se creuse autour de ton évocation Nous murmurons "Papa" comme au coeur du soir Plus que seule, parfois tout à fait sale Je n'écris pas le malheur, je gagne du temps Mon vrai, mon seul combat à moi, je ne l'écris pas Je diffère, je reporte, je noie en chantant le mal Mais toujours seule, un peu plus sale Je lave mes vêtements, les parquets, les murs, les plafonds Je me récure, je lave tout de l'affront avec application Je lave tout le mal, je lave tout ce mâle Tout à fait froide, tout à fait insensible Le corps envahi de ronces et d'orties Une langue poignard dans la gorge meurtrie Les tempes battantes, je crie contre le vide Nous n'existons pas, Papa, nous n'existons plus Nous nous taisons, humiliées, frappées au coin de la raison Tu nous a tuées, Papa, pas battues La raison du plus fort à coup de gnons Quand tu cognes, tu es aussi laid qu'effrayant Tu les attrappes tes femmes et tu les balances Contre le sol, les murs, les meubles, elles dansent Corps légers, corps saignant, corps virevoltant Hébétée, j'ai regardé de tous mes yeux d'enfant de sept ans Ces poursuites, ces embardées, ces étranges enlacements Quand tu lui as serrée la gorge près de la fenêtre, elle a voulu se jeter Du onzième étage, j'ai fermé les yeux et tu m'as crié Va chercher les voisins, j'ai frappé, ils n'ont pas répondu Après elle a pleuré, après j'ai eu peur, après je ne me souviens plus. Tout se confond, tant de cris, tant d'éclats, tant de coups, tant de sang Tu as appelé le médecin, j'avais mal à mon ventre d'enfant. Tu nous cueillais si bien, je n'entends plus rien Ton souffle contre le sien, ta chaussure contre son front Tu cognes si bien, que pétrifiée, je hurle Papa, arrête, non, non Mais tu ne t'arrêtes pas, tu la tords, entre tes jambes tu la retiens Papa, je préfère que ce soit moi, au moins je ne nous vois pas Papa, tu cognes si bien, Papa c'est moi, je suis à toi Papa, lance-moi à travers le salon, je ne me relèverais pas Et tu me reprendras, épuise, essuie ta rage sur moi Papa, j'ai tellement honte de toi, finissons-en, tue-moi Je suis déjà morte plusieurs fois, allons achève-moi cette fois Reprenons ensemble, je t'avais dit non, et c'est encore non Tu vois je sais j'enlève mes lunettes, je mérite la correction Une seule fois, j'ai fermé les yeux pour prier Pour que tu cognes avec un objet bien lourd Une seule fois j'ai cru voir la fin arriver Mais contre ma tempe j'ai entendu un bruit sourd Nos corps n'ont jamais vraiment mal, c'est plutôt notre tête qui s'étourdit Et ça cogne à l'intérieur j'entends davantage ta respiration que ces bruits Je marche toujours plus légère, dans l'espoir de disparaître sans rien dire Toujours plus souple, toujours plus creuse, presqu' invisible, tout à fait vide Nous mourrons sans effort, naturellement au domicile familial Il est le père, il est le maître, il sait tout, il parle peu, il est Dieu Je parle au lycée, puiqu'on a le droit de parler, je respire, je respire mieux Si en rentrant, je vois sa voiture devant la maison, il y aura bal Je voudrais qu'on m'emmène, je voudrais que quelqu'un me prenne N'importe qui, la famille du professeur de français, il dit que je suis cultivée Et bien qu'il m'enlève, au nom de Villon, Lautréamont, au nom de Rabelais Je ne dirais rien en mangeant son cassoulet je voudrais que sa famille soit mienne Personne ne voit que je meurs sur pied, comme une vigne sans espoir, asphyxiée Je meurs à chaque coup, à tous les coups je laisse un peu de moi Mon père le sait, je lis, je dors dans le noir complet, je ne mange pas J'ai prié Satan, agenouillée nue sur le balcon, j'ai demandé à l'hiver de m'emporter Je veux mourir de froid, de faim, de solitude, de folie, mais je veux mourir entre d'autres bras Que les tiens, Papa, tu serais capable de me ranimer pour prolonger mon agonie Je deviens fantôme, pur esprit, insensible à la douleur du corps qui se délie On ne me voit qu'à travers mes cheveux pendants, un jour, je n'existerais plus, je n'existerais pas Quand le soleil entre dans la maison, parfaitement blanc, j'atteins une extase mystique J'entends d'étranges musiques, des voix, des souffles d'anges qui suggèrent mon sacrifice J'entends des trompettes, Chet Baker se balance, Chet Baker s'en balance, je lui souris J'ai quinze ans, l'avenir n'existe pas, seul cet instant présent, précis me maintient en vie Je veux mourir d'amour en chansons, je veux mourir en larmes, enfin reconnue, mourir pour quelqu'un Mourir en souriant, dans des bras blancs d'homme aimant, il me dit viens, toi douce enfant Il me berce, je le rêve, il me caresse, il me serre, il m'embrasse et je mords l'oreiller blanc Je chaloupe, je jazz en dormant, je me dédouble, il me demande d'exaucer mes rêves, je réponds aucun J'ai appris la pureté du diamant, j'ai appris à risquer ma vie sur un simple non Non, rien ne cède aux dragons, non rien ne cède au feu, aux cris, au sang, non Je ne m'appartiens plus, j'obéis à d'autres lois, je vis dans la confidence des anges Je trébuche en silence, je suis chat, je suis femme-enfant, je suis toujours en balance. Non, je n'existe plus aux yeux du monde, je danse sur des arcs-en-ciel, je chante la peur Peur, douleur, douceur, malheur, tout d'estompe toujours quand j'écris, je danse la douleur Non, je n'existe pas vraiment, je vis d'autres réalités, j'incise d'autres mondes que ce visible Je me recueille comme un élixir de vie, j'ai dépassé les douleurs d'ici trop sensibles PS : AJOUT DE CE JOUR : Le 14 juin, Le Père a fini par mourir, deux ans d'agonie silencieuse, deux années de menace. Le samedi 5 février, tout son courrier recueilli depuis des années, étalé sur la petite sable du salon, attend comme démuni, ma seule volonté. Le lendemain c'est dimanche toute la journée, le soleil inonde l'appartement, et je m'endors une bonne partie de l'après-midi, je ne me réveille qu'à la nuit noire. J'ai révé que Christel, ma soeur aux yeux bleus long cillés, me poussait, dans mon sommeil au soleil; effectivement, les quatre pattes de la chatte s'arc-boutent contre mon corps. A peine réveillée, j'écris ceci comme un testament d'outre-tombe, celui de mon père. Les lettres, un monceau de lettres dans leur enveloppes gisent lettres mortes, dans un grand sac en papier. Pour les recouvrir, j'ai ajouté toute une pile d'anciens "Lyon-Poche", un encadrement cassé, un paquet de cigarettes vide, des branches de plante jaunies, mortes aussi. Le sac attend, presque plein, j'ai fini. Un étage à descendre, un rectangle de plastique vert, et nous continuerons à nous sourire sur cette ancienne photo. J'y ai trois ans, et mon père, trente. J'applique de toutes mes mains des lunette de soleil verte contre mes yeux et je trépigne de joie. La prairie dans mon souvenir est encore reverdie, mon père regarde cet enfant que je suis, qui s'émerveille devant la vie. C'est moi, l'enfant d'un moi, ce moi enfant qui ne s'est jamais éteint... A tous ceux que j'aime, que j'aimerais... V.V

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