Dans les années soixante, de 1961 à 1967 plus exactement, je passais le plus clair de mon temps dans un lycée public parisien, de filles seulement comme le voulait lépoque.
Les lolitas que nous étions rêvaient de séduire mais un règlement impitoyable singéniait à briser ce rêve comme le montrent ces anecdotes en tout point véridiques.
La blouse
La tenue réglementaire était la blouse. Afin quelle remplisse sa mission qui était dempêcher toute inégalité vestimentaire entre élèves plus ou moins fortunées, rien ne devait dépasser et il fallait se vêtir en conséquence.
Il y avait deux blouses qui alternaient chaque quinzaine, une rose et une beige. Il fallait donc deux fois par mois rapporter à la maison la blouse à laver et emporter lautre dans son cartable.
Je naimais guère me faire remarquer mais jy échappais difficilement car javais un prénom et un nom à rallonge espagnols hérités de mon père qui me donnaient une furieuse envie de mappeler Martine Dupont. En outre jétais toujours la plus jeune de la classe, la plus grande en taille, la première dans la plupart des matières et
la plus étourdie.
Je loupais donc assez souvent le changement de blouse et je peux vous dire quon se sent très mal seule rose parmi mille beiges ou le contraire, sous les yeux réprobateurs de la surveillante et ironiques des autres filles.
La barboteuse
Je naimais pas les cours de gymnastique qui me le rendaient bien, la corde refusait obstinément de me permettre de mélever au-dessus du niveau du sol et mes roulades demeuraient désespérément disgracieuses. Après avoir admiré le style impeccable de lélève précédente je retombais quant à moi le plus souvent sur le côté hors du tapis.
De temps à autre nous allions à pied pratiquer lathlétisme au stade, cette sortie hors de lunivers clos du lycée était appréciée sauf à certaines périodes de lannée.
Nous naimions rien tant quattirer les regards masculins, or il se trouvait toujours sur le trajet et aux abords du stade quelques garçons pour suivre nos prouesses athlétiques. De novembre à avril notre joyeuse troupe en survêtement avait belle allure mais les autres mois nous devions nous mettre en short bleu marine.
Celui-ci comme le voulait la décence était doté dun élastique à la taille et délastiques autour des cuisses
vêtues de ces barboteuses informes, nous navions plus aucune chance dattirer des regards autres que goguenards.
Le pantalon et les papillons
Le port du pantalon était strictement interdit mais parfois un hiver particulièrement rigoureux sabattait sur la capitale et une affiche était placardée sur les murs du lycée, elle nous autorisait tant que les températures resteraient très basses à venir en classe en pantalon.
De retour chez moi, je fouillais fébrilement le placard pour y retrouver mon fuseau de ski ou tannais mon frère jusquà le convaincre de me prêter un jean. Quelle joie le lendemain demprunter le chemin du lycée en tenue moderne ! Quelle tristesse lorsque la température remontant et laffiche disparaissant, il fallait ressortir jupe et collants et dire adieu à la liberté !
Il fallait se lever tôt pour réussir le chignon crêpé et les yeux ourlés deye-liner qui étaient à la mode. Il y avait dailleurs dans notre lycée une grande qui était lamoureuse du chanteur Frank Alamo et avait inspiré sa chanson « biche oh ma biche, lorsque tu soulignes au crayon noir tes jolis yeux, biche oh ma biche moi je mimagine que ce sont deux papillons bleus
».
Nous étions quelques-unes à souligner les nôtres mais le maquillage était interdit au lycée et il nous fallait ruser toute la journée pour éviter quune surveillante ne remarque nos papillons et ne nous emmène illico aux toilettes les nettoyer sous le robinet. Chaussures opportunément relacées ou regard tourné fixement vers le mur du couloir pouvaient nous sauver la mise.
Je pourrais parler encore longtemps de mon lycée de filles des sixties, il y aurait tant à dire. En 1968 en première année de fac je me suis donnée à fond dans les débats, manifs et barricades qui ont contribué à changer les choses. Jai su que mon lycée navait pas tardé à devenir mixte et les contraintes vestimentaires à disparaître, malgré tout je ne garde aucun mauvais souvenir de ce bahut rétro et de ces années pleines de rires qui mont donné à jamais le goût dapprendre.
(Mon lycée était le lycée Maurice Ravel, cours de Vincennes à Paris XXème. Ce serait amusant que quelquune sur ce site lait fréquenté à la même époque
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