« Frêle, le visage mangé par des yeux immenses, elle possède tout ce qui fait une authentique chanteuse : humour parfois féroce, tendresse, gouaille, poésie douce-amère, on aimerait quelle ne cessât pas de chanter, tant sa voix rejoint, touche, bouleverse, atteint comme un coup de poing ce quil y a de plus profond, de plus secret chez chacun dentre nous, ce mystérieux chemin, qui passe par le cur, et sen va bien au-delà du cur. »
Ces quelques lignes, écrites en 1962, auraient pu, auraient dû, signer une grande carrière. Ce sera seulement un destin tragique, celui de Christine Sevres.
Qui connait aujourdhui ce visage fascinant, aux grands yeux ? En regardant les quelques archives de lINA qui subsistent de Christine Sevres, on se demande ainsi ce qui lui manquât pour être légale de Juliette Greco ou Barbara, dans ce Paris des cabarets et de Saint Germain des près où elle démarre en même temps que cette dernière.
En 1947, Christine Boissonnet a 16 ans et vit déjà seule, en face du métro Sevres-Babylone, auquel elle empruntera son nom de scène. Elle écrit, beaucoup, rêve dêtre comédienne, et fréquente assidument les artistes de lépoque. Fait tous les métiers, narrive pas à gagner sa vie au théâtre. Alors, elle se met à chanter. Dans les cabarets de la rive gauche bien sûr. Cest en 1956 quelle rencontre Jean Ferrat, qui lui aussi court les cabarets, depuis 1952. Entre ces deux-là, ce sera fusionnel, lamour dune vie.
Des années intenses, jusquà plusieurs cabarets par nuit, comme Ferrat. Un « magnétisme presque inquiétant » disent alors ceux qui lentourent. Elle élargit son répertoire, croise Barbara, se fait accompagner un soir au piano par un certain
Serge Gainsbourg.
Au début des années 60, toute la presse nationale a déjà parlé de Christine Sevres en termes élogieux. Elle vit avec Jean Ferrat depuis 1957. Celui-ci va connaître enfin le succès en 1963 avec « Nuit et brouillard » et en 1964 avec « La montagne » Une première fêlure pour Christine Sevres dont le succès ne vient pas, malgré un super 45 tours en 1961, puis un autre en 1963. Et surtout, 3 semaines à Bobino en 1964, juste après Barbara, en première partie de Brassens.
Puis, sort enfin son premier album le
10 mai 1968. Le pire moment. Il passe inaperçu. En 1969, retour à Bobino, en première partie de Reggiani. La presse est encore une fois unanime. Cette fois, CBS y croit et sort en 1970 un deuxième album, avec des chansons écrites par Brigitte Fontaine, Jacques Higelin, Ferrat, entre-autres. Des textes entre poésie et engagement fort.
Encore un grand succès critique, mais pas public. Christine Sevres, que les radios nont jamais suivi, abandonne la chanson en 1972, en même temps quelle se retire à Antraigues avec Jean Ferrat, devenu, lui, un géant de la chanson française.
La muse restera dans lombre. Commence alors une lente auto-destruction, à laquelle assistera, impuissant, Ferrat. Christine Sevres meurt le 1er novembre 1981, à 50 ans, vaincue par une angoisse existentielle insurmontable.
Reste aujourdhui une présence magnétique, une voix, une puissance démotion et des combats, les mêmes que Ferrat. Ses disques sont introuvables, y compris la réédition en CD de 1994. Mais, preuve que certains connaissent sa valeur, on les trouve parfois sur Ebay, à des prix déraisonnables : 150, voire 200 .
Alors, pour découvrir Christine Sevres, il y a internet. Sur Youtube et Dailymotion, quelques chansons. Et puis des interviews, poignantes avec le recul, dans les archives de lINA.
Enfin, il y a la très bonne biographie de Ferrat, par Robert Belleret (Le chant dun révolté, chez Larchipel) qui donne toute sa place à Christine Sevres.
Personne na dit ne serait-ce quun mot de Christine Sevres, à la mort de Ferrat, en 2010. Alors quil lui doit beaucoup, au-delà de son propre talent. Une artiste qui semble bien maudite.
http://www.dailymotion.com/video/xcph9r_christine-sevres-le-clown_music
http://www.dailymotion.com/video/xcl9ar_christine-sevres-heureusement-qu-il_music
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