Ce matin, pour la première fois de sa vie, Riri a menti. Il est encore tout étonné de la facilité avec laquelle il a répondu aux questions, sans rougir, sans bredouiller, sans se tromper. Sans fléchir. Lui pour qui le mensonge était une montagne infranchissable, a réussi son ascension avec succès, et maintenant, il est passé de lautre côté. Il vient de comprendre quil est facile de mentir. Il suffit de penser à soi. Mais ce nest pas tout. Il a également fait preuve de courage. Car, pour la première fois de sa vie, Riri a tenu tête. Et à une autorité bien particulière : la police.
Il est enfin entré dans la ronde. Tout simplement en racontant aux policiers quil se trouvait aux toilettes au moment des faits. Ils lont cru et nont pas insisté davantage. Bien sûr, la voix dans sa tête continue son travail de sape. Elle lui répète en boucle que laffaire pourrait bien ne pas en rester là, du moins en ce qui le concerne. Un doute commence à le tourmenter lorsquil ferme à clef la porte de sa mansarde. Il enlève son blouson en jean délavé, va jusquau réfrigérateur, sort une bière, louvre, boit une longue gorgée et allume la télévision.
- Ils finiront bien par apprendre que ce connard était un sale type qui profitait de sa situation hiérarchique pour humilier ses collègues de travail. Alors ils vont forcément fouiner dans léquipe de quai. On deviendra automatiquement des suspects
qui finiront par être coupables
Il boit une autre longue gorgée de bière. Ensuite il pose la canette sur le sol, et sempare du couteau de plongée sous-marine quil samuse à planter dans le matelas éventré. Au bout de quelques estafilades il simmobilise un moment, le couteau à pleine main et le bras en lair, pour regarder la mousse séchapper de tissu.
- Putain de merdre ! Quand je pense que jai piqué ce couteau à lautre abruti
Il y a un mois de ça
Un semi était arrivé à quai en retard. Aussitôt on a commencé à décharger pendant que lautre connard nous envoyait des réflexions désobligeantes. Dans la précipitation, un colis a dégringolé du tas et le carton est aller séclater sur le rebord du quai. La marchandise sest répandue sur le sol. Je lai bien vu, ce con, prendre un couteau de plongée sous-marine et le glisser furtivement dans son pantalon. Mais je nai rien dit. Ça ne me regardait pas. Mais quand le chef de quai a prétexté un besoin urgent daller aux toilettes, jai craqué. Je lai suivi jusquau vestiaire et je suis arrivé au moment où il planquait le couteau dans son armoire.
Je me rappelle très bien lair con quil avait quand il sest retourné pour mengueuler et pour me dire de retourner décharger. Je lui ai demandé sil avait lintention de pisser dans son armoire. Cétait tout à fait son genre dhumour. Il est entré dans les toilettes en rigolant pour toute réponse. Il ne ma fallu que quelques secondes pour venir à bout du cadenas et transférer le couteau dans mon armoire. Le plus drôle, cest que cet abruti ne ma jamais soupçonné. Hé ! Il nen a plus besoin de ce couteau, là où il est
Un sourire idiot se forme sur son visage crispé tandis quil cache le couteau sous loreiller. Il termine sa bière et laisse rouler la bouteille sur le sol. Le sourire se transforme en un rire gras. Il saisit la télécommande et commence à zapper sans prêter attention aux images qui défilent sur son écran. Le rire finit en ricanement débile. Il zappe de plus en plus vite avec de plus en plus dénergie dans le geste. Il tient la télécommande à bout de bras et vise lécran presque à bout portant.
- On nous gave comme des oies. On nous gaaave comme des ouaaahs ! Mais mouaaah, je ne suis pas une ouaaah ! Et je ne marche pas. Tout ça cest de la merde en tube cathodique. De la pâte publicitaire à mastiquer. Je ne suis pas un ruminant ! Je ne suis pas un animal ! Je suis un être humain ! Je suis un homme ! Regardez-moi !
Il se remonte ostensiblement les testicules, grimaçant dun air obscène.
- Mouaaah aussi je peux être graaas ! Comme les ouaaahs qui se font engraisser ! Pauvres oies
Riri écrase d'un doigt rageur le bouton de mise en veille et jette violemment la télécommande contre le mur. Le boîtier s'ouvre, expulsant les piles qui vont rouler sous le lit. Il s'allume une cigarette et prend le temps de la fumer. La voix intérieure lui fait des reproches. Il essaie de ne pas l'entendre, les mains aplaties sur les tempes, mais ce geste est impuissant à la faire taire. Soudain il se précipite au chevet de la télécommande. Il pousse un gémissement de satisfaction.
- Rien de cassé. Il suffit de remettre les piles à leur place pour que ça fonctionne de nouveau. Je ne peux pas me passer de cette saloperie de télé ! C'est mon seul moyen d'être en contact avec le monde. Ici, chez moi, peinard. Je regarde les malheurs qui dévastent cette planète en lâchant une larme de considération, j'écoute les mensonges et les conneries que racontent les gens sans avoir à les supporter, et dès que je fatigue, je zappe... Ah, si seulement cette putain de voix pouvait fermer sa gueule ! Si seulement je pouvais commander tout seul mes actes du matin au soir sans être obligé à chaque fois d'entamer des négociations interminables...
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