Frau Traktor par Tcherenkov

Frau Traktor est une chleu à couettes turbulente. Ses jambes, qu’elle avait pourtant si belles dans un jadis si jadis qu’on a du mal à se faire à cette feu réalité, ses jambes donc sont tellement capitonnées qu’on croirait deux colonnes de potimarrons empilés les uns sur les autres. Ses hanches, ma foi, et le reste, mieux vaut être athée. Frau Traktor, comme son nom l'indique, ne vend pas de tracteurs. Si vous voulez c’est comme Herr Bidet. Il s’appelle Bidet, mais il ne vend pas pour autant des bidets. Grossein c’est pareil, ça ne présume en aucun cas de l’altitude du mamelon. Frau Traktor collectionne 60 étés à son actif, et 59 automnes puisque le 60ème est en cours. Sa chevelure blonde façon pièce montée à la grätchen ressemble à une de ces installations dans les jardins des Tuileries devant lesquelles il est de bon ton ces derniers temps d’aller s’extasier. (Oh ! Mais ce boyau de ciment couché là dans l'herbe "comme si c'était tombé là par hasard" est tout simplement fabuleux !) La chevelure de Frau Traktor lui ressemble en cela qu’elle a été judicieusement étudiée pour qu’on se demande à quoi elle sert : c’est un monticule couvert de frisettes inégales sur lesquelles semblent voler un essaim de papillons en plastique colorés qui les maintiennent en l’air, et le sens de cette installation est tout bête : cela signifie chez Frau Traktor que le désordre est quelque chose de coloré et de joyeux. D’aucuns (oui, d’aucuns) diront que Frau Traktor est barge ; c’est certainement un peu vrai. Mais pas tant. Frau Traktor fait de la politique. Elle écrit sur les murs ce qu’elle pense de tout, elle beugle qu’elle est une anarchiste des extrêmes, ni de gauche ni de droite : elle appelle ça les extrêmes improbables, parce que c’est un mot que l’on dit à toutes les sauces et que Frau Traktor le trouve populaire à souhait. Jadis et naguère elle fréquenta quelques membres d’Action Directe, mais si on regarde ses albums de photos, on peut la voir, dans un temps encore plus ancien, poser devant une banderole de l’Action Française, le cul fièrement appuyé contre la traction noire qu’elle conduisait alors avec passion avant de se la faire chouraver par une bande de gauchistes qui s’empilaient à huit dans une 4 chevaux pour aller foutre le bordel en ville. Il y a dix ans, au festival de Bayreuth où elle aime à fréquenter la grande musique, elle a rencontré Gottfried von Traktor, un comte moribond qui l’a installée dans ses comptes en banque avant de sombrer dans le gâtisme. A sa mort, elle l’a fait incinérer et elle a mis les cendres au fond d’un petit nichoir qu’elle a suspendu à la branche d’un chêne bicentenaire. Puis elle a épousé un jeune homme de trente ans de moins. Il sortait des Arts et Métiers et lui a fait lire Clausewitz et son fameux De la Guerre. Depuis, elle prépare en douce une grande révolution. Le jeune homme n’en veut pas tant que ça. Il aimerait continuer tranquillement à pouvoir utiliser le compte joint pour aller glander à Ibiza. Clausewitz c’était juste pour la draguer. Frau Traktor vient d’aller poser une première bombe à la Société Générale. Elle compte faire sauter toutes les banques les unes après les autres. Elle s’en tape, tous ses comptes sont en Suisse. Ensuite elle ira faire sauter les trains, puis les avions, puis les multinationales. Et quand son pays sera en ruine, elle embauchera une main d'oeuvre à bas prix à l'étranger, elle leur donnera à chacun des graines et ils devront aller partout nettoyer les ruines, retourner la terre et semer. La France sera un immense champ couvert de salades vertes. On gardera quelques vignes et quelques arbres. Elle demandera à son jeune fiancé de vivre nu. Un jour il lui donnera une pomme, et Frau Traktor rira à gorge déployée en se souvenant du canular autour de la faute et du paradis et tout ça. Elle croquera dans la pomme et c’est ce moment là qu’une météorite choisira pour venir lui rappeler aux bons souvenirs de l’Histoire en s’écrasant, splach, sur la nudité toute potironne de Frau Traktor pour en faire de la purée. Eh oui. Eh oui.