Ce bec dépasse de la pénombre au coin de la pièce.
Assise à l'autre bout, elle se demande à quel moment il s'est posté là.
Cet angle de vue est habituel, pourquoi rien d'anormal jusqu'à ce-soir ?
Que fait cet oiseau silencieux ? à cet endroit ? et sur quoi s'est-il perché pour rester de la sorte immobile...
Parfois, le bec s'ouvre comme dans une conversation animée mais muette ?
ou bien est-ce un grand éclat de rire sans respiration ?
A qui appartient ce bec ? Pourquoi regarde t-il dans cette direction ? Depuis combien de temps ?
Un fil blanc ondule juste en dessous de lui,
son chemin va jusqu'à la poignée en nacre de la porte... quel jour a-t-il commencé à ouvrir la porte par laquelle chaque jour elle passe, entre, et sort ?
Le vent s'engouffre par le hublot, la ligne d'argent se balance
le bec reste impassible, seule une valse d'ombre des feuillages à l'extérieur se dessine par intermittence, sur ce profil acéré.
Au-delà des bruissements de la campagne, le pas des chiens, le chant des grillons, le clinquant des cloches, à l'intérieur c'est un temps en sursis, un temps de plumes, une flèche en bois d'os.
Nous voilà au temps du silence où les pensées s'échangent comme conversations,
nous n'avons plus rien à nous confier si nous pensons cela,
nous ne pouvons plus nous sauver mutuellement,
il reste seulement ce bec tapi dans l'ombre nous parlant d'un temps ancien où un mot balbutié même de travers et atone pouvait signifier un amour malgré tout.
Nous sommes étouffés par nos propres peurs de tout perdre quand déjà nous pensons avoir tout perdu.
De guerre lasse, une cerise tombe à l'axe de la pièce, l'oiseau s'envole par le hublot
Un merle.
↧