Au réveil juste avant que le noir de la nuit se délite. Fenêtre ouverte sur le froid vif, café noir brûlant, ce qui timporte cest très peu, ça tiendrait dans ton bol, ça tient tout entier dans ce moment.
« Je cherche autour de moi plus dombre et de douceur
Quil nen faut pour noyer un homme au fond dun puits.
Encore un peu de noir, détoiles, de fraîcheur,
Versez, mains, et vous, cils, votre restant de nuit. »
Ça tient dans le silence, dans lobscurité partout trouée détoiles, dans la masse indistincte de la forêt présence sans nom. Dans la conscience aiguë de léphémère. Au réveil ce moment précieux qui ne durera pas. Kaïros.
Et tu sais quil ne tient quà toi. Dêtre là, neuve chaque fois, plonger dans le moment. Son intensité.
Fugace. Et toujours renouvelé. Ce qui timporte cest lordinaire, le précieux de lordinaire, la saveur rigoureuse du café sans sucre, son arôme.
Ce qui timporte, qui revient toujours, chaque fois sefface. Cette sorte d'amour. Sans engouement, sans phrases, sans édulcorant, obscur, silencieux, cette profonde respiration, le froid de lair jusquau fond des poumons. Cette profonde respiration.
« Il est place pour vous
Dans ces rumeurs obscures
Encerclant à la fois
Le vivre et le mourir.
Il est place pour vous,
Approchez, tendre ami, aux lèvres étonnées,
Gardiennes du plaisir
Qui tourne loin de nous. »
Après, il y aura le jour qui vient, les étoiles noyées si vite dans la pâleur de laube, le frémissement des oiseaux, lenvie de bouger, les projets, lagir, lagitation. Après. La tendresse qui séparpille en mouvements contraires. Tu ty perds, tu jouis de ty perdre.
« Ces jours qui sont à nous, si nous les déplions
Pour entendre leur chuchotante rêverie
Ah cest à peine si nous les reconnaissons
Quelquun nous a changé toute la broderie. »
Mais tu sais quil ne tient quà toi : de retrouver léveil, le moment qui ne dure pas. De ty rassembler.
Ce qui timporte cest ce moment où son regard renonce à quêter les images et plonge dans sa nuit, la masse sombre et rassurante. Le moment où sa voix est nue, dépouillée de tout bavardage, où sa voix monte de son ventre, déborde de silence. Ces quelques mots, amers peut-être, pourtant dune infinie douceur. Où son geste lent embrasse la nuit, renonce à se précipiter vers la plénitude et laction. Le moment où il touche sa nuit son froid sans crainte, et respire.
« Laissons cela, vous êtes si près de vous-même
Que désormais rien ne pourrait vous arriver,
Rassurez-vous, il fait un petit vent de songe
Et létrange miroir luit presque familier. »
Et toi tu ne voulais que ça, ce moment qui vous rassemble, qui ne dure pas.
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