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La construction d’une nouvelle entité par Jules Félix

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Ah oui, le titre du film est en lui-même tout le programme qu’on peut espérer pour l’amour. Être d’un nouveau type, ni mâle ni femelle. Tu diras ce que tu voudras, mais les coups de foudre, ça n’existe pas, ou plutôt, ça n’existe que dans la tête des projeteurs. Les projeteurs, ce sont des personnes parfois hautement subtiles qui s’imaginent plein de trucs pas possibles. En langage cinématographique, on dit qu’ils se font des films. Dont ils sont les héros, bien sûr. Bon, oui, d’accord, sans doute que les coups de foudre existent parfois, ne serait-ce qu’en raison des généralisations hâtives qui oublient toujours les petits cas particuliers qui s’éjectent de la courbe de Gauss. Mais admets qu’ils sont aussi rares que les andouilles dans une cantate de Bach… Pourquoi dis-je cela ? Ch’ais pas, le clavier a fourché et ce n’est plus moi qui écris. Disons plutôt, pour la rigueur intellectuelle, que les coups de foudre, je n’y crois pas et même, je m’en méfie comme de la… d’habitude, on dit : "comme de la peste", mais je trouve l’expression un peu désuète, et puis, moi, je ne me suis jamais méfié de la peste, alors… Parce que les coups de foudre, c’est comme l’étiquetage des personnes ; tu mets l’autre dans la case : "âme sœur", et paf ! le voici chargé d’un douloureux poids, celui de ta toute impuissance ! Non, la réalité est probablement moins glorieuse. L’amour est un film à suspens et parfois, ce ne sont que des rushs à mettre à la corbeille. Au contraire de la plupart des films, tu ne connais pas la fin. Pas même la suite dans quelques minutes. Voici. Tu rencontres l’Autre. Déjà, je t’ai mis une majuscule à l’Autre parce que dans ta tête, tu y portes déjà une attention soutenue. Tu rencontres l’Autre pour la première fois. Non, pas de musique romantique. Ni une pub pour un déodorant. Juste un petit sourire surpris. Quand on se croise, on ne le sait pas. On ne va pas faire l’amour avec toutes les personnes qu’on croise, tout de même. Mais là, c’est différent. C’est une marque d’attention réciproque. Mutuelle. Un intérêt. Sans plus. Ne pas projeter. Ne pas projeter. Le meilleur moyen, c’est de ne pas idéaliser. Ne pas imaginer. Mettre son esprit vierge. Totalement vierge. Page blanche. Sans influence. Cela m’amuse, les gens qui te demande quelle est ta femme idéale ? ou ton homme idéal ? Moi, je n’en ai pas. Ou toutes le sont. Potentiellement. Ok, y a sûrement des stoppers. J’en ai plein en tête. Mais peux-tu définir véritablement une personne par ce qu’elle n’est pas ? C’est pas sympa pour elle. Donc, voici que la relation est naissante. Tu ne peux pas honnêtement parler d’amour naissant. Aux yeux des autres, tu formes peut-être déjà un couple, là, sur la terrasse de café, mais dans ton esprit, tu le sais bien, c’est rudement plus compliqué. Surtout, ne pas se projeter dans l’avenir. Ni dans le passé. Vivre juste le temps présent. Penser au divertissement. Parce que, mine de rien, tu as beau rencontrer une charmante créature, elle n’est pas l’alibi de la rencontre. Il te faut un prétexte. Culturel par exemple. Musée, monument, concert, cinoche… Tout est bon pour biaiser la rencontre. Dire : "Je veux te revoir uniquement pour être avec toi" est un pas un peu trop osé et qui, pourtant, ne désigne rien en amour puisqu’il est valable tout autant en amitié ou en famille. Alors, tu te complais à imaginer des passions communes. Des "affinités culturelles". Expression qui me dit quelque chose, d’ailleurs, où ai-je déjà entendu ça ? Alors, c’est cela qui est extraordinaire. Si tu te dis dès le départ : "C’est elle !" ou "C’est lui !", forcément, ça risque de dégénérer car l’Autre, il ne le sait pas forcément. La réciprocité, ça s’apprivoise. Comme le renard du Petit Prince. Mais si tu ne te dis rien, si tu laisses courir les choses, si tu restes méfiant ou plutôt vigilant dans ton propre enthousiasme, tu peux éviter le couac. Tu ne le diras jamais assez : l’amour, ce n’est pas que la rencontre de deux personnes. C’est la rencontre de deux autres unités, celle du temps et celle du lieu. Être disponible en même temps au même endroit. Et parfois, tu peux même t’interroger : après tout, ce n’était peut-être pas la personne qui comptait vraiment, mais cette osmose du temps et du lieu ? Car s’il fallait que l’Autre soit taillé, soit ajusté au mieux à toi, il n’y aurait jamais de rencontre. Et pourtant, dans l’histoire du monde, il y en a eu, des plus aléatoires, des plus misérables sans doute mais aussi des plus joyeuses. Alors, finalement, qu’importe qui s’il vient au bon moment et qu’il n’a pas quelques stoppers irrémédiables ? C’est ainsi que tu ballottes ce croisement de destinées. Il est juste agréable dans le moment à vivre. Et sans conséquence. Pas de plan sur la comète. Pas de Mendelssohn dans la tête (si c’est le cas, achtung !). C’est comme dans une grossesse. Tu n’es jamais sûr à cent pourcents de l’instant de la conception. Tu ne le sais qu’après coup, que lorsque les cellules se sont multipliées, quand le petit cœur s’épanouit dans un îlot de chaleur. Et comme dans la grossesse, il peut y avoir des fausses couches (erreurs de jugement) ou même des avortements, ces personnes qui refusent l’amour pour x raisons alors que tout pourrait bien aller. Certains se mettent même des préservatifs dans leurs rencontres, comme ça, ils ne risquent pas d’attraper l’amour et ils sont tranquilles lorsqu’ils rentrent chez eux. Tu avoueras que c’est une période particulièrement stressante, cette grossesse. Car tu ne peux pas dire que tu aimes mais tu ne peux pas dire que tu n’aimes pas. Tu es dans la mushy zone des métallurgistes, celle où tout est liquide mais avec des germes de solide qui peuvent se cristalliser très rapidement. Ou moins rapidement. Eh oui, la durée de cette période est très variable. Le coup de foudre tend justement à la réduire au plus court possible mais il en existe des longues, de plusieurs années parfois, même décennies, si si. Évidemment, dans le dernier cas, le discours amoureux devra s’adapter. Au lieu du "Comme tu es jeune et belle…", il faudra dire : "Quand tu étais jeune et belle…" ! Dois-tu dire que la nature de cette période incertaine devrait être le secret d’une naissance réussie ? Probablement pas. Les accouchements précoces peuvent donner de très solides enfants. Et puis, si cette période est trop longue, les habitudes se prennent et l’amour potentiel se transforme illico en amitié assumée. Le truc le plus grave qui peut se produire ! Cette période, à tout égard particulière dans la vie, est fondatrice, doublement fondatrice. Quelques jours, quelques semaines, quelques mois… Tu es là, posé sur ce temps qui s’arrête, devant l’immensité du désir et tu médites devant l’émergence d’un bonheur qui n’attend que d’être happé. Car à la fin, ou, plus tôt, au début, il y a cette naissance indéfinie, mystérieuse, spontanée, insoupçonnable, de cet être étrange, improbable qui te fait passer du "moi" au "nous", un "nous" humble, prometteur et finalement tout puissant. Un "nous" divin.

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