Je ne suis pas si belle. Je ne suis pas canon.
Et je ne réponds pas non plus aux canons de la mode.
J'ai la rondeur des Grâces, l'opulence des modèles de Renoir et les courbes des statues de Maillol.
Fécond mon ventre. Voluptueuses, mes hanches larges et pleines. Lourds mes seins . Mes fesses rebondies et mes cuisses ...Je suis une véritable femme de chair, grecque, latine, une vraie fille de Méditerranée. J'avance mollement en balançant mes reins et je n'ai rien de la démarche conquérante et alerte d'un mannequin de podium.
Avec le temps, mon visage ressemble à un pruneau oublié au soleil, et mon corps s'alourdit.
Cependant.....
Lui....
Lui..... il me regarde.
Il ne me quitte pas des yeux.
Il m'observe de loin.
Il me scrute.
Il me regarde déambuler dans la maison, il me regarde bouger... - j'ai un peu honte, je ne sais pas marcher droit et parfois je perds l'équilibre, en vérité, il n'y a rien de très élégant en moi qui soit digne d'être regardé de cette façon -.
Il penche un peu la tête sur le côté comme pour évaluer quelque chose, s'arrête un instant sur un de mes gestes.
Sous son regard insistant, le pourpre me monte aux joues. Alors il allume une cigarette lentement, en prenant tout son temps.... Je respire, soulagée. Mais ce répit ne dure guère et déjà voilà ses yeux sombres de nouveau plantés dans les miens, que, confuse, je détourne un peu.
Il me regarde. Il me regarde tout le temps.
Tout le temps que je m'affaire. A préparer un plat, à dresser la table. Je m'agite autour de lui comme un papillon affolé et je me cogne à chaque meuble au passage.
Il ne dit rien. A quoi il peut penser.... Ce qu'il cherche... Ce qu'il me veut.... Je me le demande.
A chaque fois.
A chaque fois, je me le demande.
J'ai le sentiment qu'il me parle depuis sa place. Qu'il m'interpelle. Qu'il m'interroge. Qu'il veut tout savoir. On dirait que je l'intéresse. Est-ce possible ? Moi si maladroite, si mal à l'aise, cachée derrière de grands pulls ou de vastes tuniques floues, pour qu'on ne me voit pas trop....Comment pourrais-je le captiver ? Comment pourrais-je le passionner ? Le séduire...moi, la pas très belle...
Toutes ces années , toutes ces rencontres, ces moments volés.
Cette sorte d'amour impossible à nommer. Impossible à vivre. Mais que nous vivons quand même.
Il continue de me regarder comme au premier jour, émerveillé et surpris. On dirait. Il n'a jamais cessé de poser ses yeux sur moi, qui ne suis pas si belle. Il me sculpte de loin je crois. Il me peint. Il m'écrit. Il écrit notre histoire. Il réécrit la mienne. Il m'invente. Il me crée.
Il cherche à savoir. A deviner qui je suis. Et ce qui m'habite. Mes passions, mes fureurs, mes douceurs. Il y a entre nous comme un fil, comme une onde. Nous sommes en contact par-delà tous nos mots. par- delà le silence.
Il dit qu'il s'agit de miracle. De volupté. De moments qui s'immiscent tout à coup, évidents, fragiles, innommables, fabuleux......Il dit que nous faisons toujours et encore connaissance. Qu'on en est au début. Que ce n'est pas fini.
Il n'en a pas fini de percer mes secrets. De caresser mon front et de glisser ses doigts sur mon corps tout entier. D'échancrure en échancrure....
Echo d'écho de nos deux peaux.
Il n'en a pas fini de chercher l'interstice entre nous.... qui doit être comblé...
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