Depuis la tabatière, un pinceau de lumière cisèle des volutes de poussières étoilées.
Il est bien là. Farouchement arrimé au temps par les toiles d'araignées.
Depuis combien de temps se cache-t-il sous la crasse du grenier le bougre !... La pudeur des objets me fascine.
Je caresse le treillis mordoré de sa façade et tourne le gros bouton de faux ivoire. Derrière la plaque de verre une flèche rouge joue les funambules sur une corde duveteuse.
En bruissant, elle parcours la guirlande des stations-radio de ma jeunesse... Quelques centimètres qui me rapproche inexorablement du passé.
Et si j'osais...!!
Juste un petit tour là-bas. Derrière les brumes de ma mémoire.
Le temps d'une chanson.
J'enfonce un doigt dans le clavier jauni.
J'entre sans bruit.
Un il vert s'allume lentement.
Le monstre se ranime après un demi siècle de sommeil...
J'imagine ses entrailles électriques, le réveil des grosses lampes toutes peluchées de gris . Le parfum tiède d'un temple déserté.
Du bout de l'index j'effleure la molette. Un grésillement de musique en noir et blanc.
Mon imagination se joue de moi, parmi les crépitements souffreteux je crois reconnaitre "Il est 5 heures Paris s'éveille".
Et Dutronc m'embarque vers mes quinze ans.
Je suis déjà là-bas.
Dehors la nuit de novembre n'en finit plus de roder autour des lampadaires du chemin.
Sous la fonte de la cuisinière, le charbon fraichement ranimé ronronne de plaisir.
Dans le silence des étages la famille dort encore... j'adorais me nicher dans l'insouciance de ces heures solitaires...
Sur le formica, mes cahiers tentent d 'échapper aux miettes du petit déjeuner. Des leçons, des devoirs que ma paresse couve depuis trop longtemps.
C'est mon heure. Je suis le roi. Rien ne peut m'atteindre. Du piédestal où il trône comme un pacha, il me nourrit de ses bourdonnements teintés de mystère.
Je lévite sur les mélodies ouatées qu'il me distille entre deux nouvelles nasillardes .
Mon quotidien de cancre se déchire sur des mondes magiques. Je pavane mon euphorie sur des remparts inaccessibles.
Je m'attable chez Laurette en attendant Aline. Les filles du bord de mer se trémoussent sur Sunny Afternoon. Je m'embarque sur le Santiano avec les Who, les Stones et les Beatles... Le rafiot craque sous mes délires... l'escalier aussi... mon père vient de se lever.
Le charme est rompu.
Sur l'échelle de meunier, le cou tendu, mon fils inspecte le bric-à-brac qui me cerne.
- Waouh ! C'est quoi ce foutoir ?
- Ma jeunesse... en pièces détachées !
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