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Une journée de vie en moins par Sablaise1

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Il pouvait être trois heures du matin, elle peinait à se réveiller et réalisait que sa pire ennemie avait lâchement profité de son sommeil pour faire irruption. Cette fois la malveillante avait élu la tempe droite où la douleur, encore légère, commençait à battre au rythme des pulsations. Prendre aussitôt le traitement d’attaque, celui qui pouvait interdire à l’intruse de s’incruster, et attendre. Une heure plus tard elle savait qu’elle avait perdu contre cette migraine-là et qu’elle devrait la subir jusqu’au bout, jusqu’à la nuit prochaine. Peu après la douleur était au summum et la nausée montait. Vite déclencher le plan Orsec. Aucune lumière, même le plus petit rai, elle n’aurait pas supporté. Aucun bruit, débrancher le téléphone, éloigner le réveil dont le léger tic tac mué en vacarme devenait torture. Aller chercher une cuvette en bas dans la cuisine, en apnée pour éviter toute odeur ayant un quelconque rapport avec la nourriture. Au passage prendre dans la boîte à pharmacie les antidouleurs opiacés qui allaient lui permettre de supporter la crise et l’aider à passer le temps en la faisant somnoler par intermittence. Tétanisée par la douleur malgré les calmants pris toutes les trois heures, elle se tenait recroquevillée sur son lit le côté douloureux contre l’oreiller pour que la pression la soulage. Les vomissements de bile ayant enfin cessé, elle entrait dans un demi-sommeil. Elle souffrait de migraines depuis l’adolescence et ne comptait plus les journées de vie ainsi perdues. Journées de classe à rattraper sur les cours des autres. Journées de bureau à prendre sur les congés ou les RTT. Sorties du week-end décommandées au dernier moment. Journées de voyage passées dans une chambre d’hôtel au lieu de visiter le pays… Le pire c’était l’incompréhension. Les parents proches, les amis véritables savaient et comprenaient. Mais les autres, tous les autres… Ces regards ironiques lorsqu’elle s’excusait d’une absence en invoquant une maladie souvent considérée comme mineure voire imaginaire. Et ce terme de migraine désignant étymologiquement une douleur touchant la moitié du crâne employé à tort et à travers… Elle, si douce d’ordinaire, avait des envies de meurtre lorsqu’elle se trouvait en compagnie et qu’une personne en pleine forme occupée à dévorer un sandwich demandait à la cantonade « j’ai la migraine, est-ce que quelqu’un a une aspirine à me passer ? » Elle aurait tant aimé souffrir d’autre chose. Avoir une douleur même plus fréquente, même pire, mais ailleurs que dans la tête. Parce qu’alors elle aurait pu s’en distraire, lire, écouter de la musique, regarder un film…au lieu d’attendre totalement anéantie que la crise cesse. Elle somnolait, le temps passait. On était enfin le soir et elle arrivait à s’endormir vraiment. Il pouvait être trois heures du matin, elle se réveillait d’un coup et lui venait un grand bonheur, un bien-être inouï. C’était fini, plus mal nulle part. Faim et soif. Allumer, se préparer un en-cas, mettre la radio en marche. Reprendre sa vie là où elle l’avait quittée un jour plus tôt et surtout la vivre à fond, comme si cela devait ne jamais recommencer… (Il y a plusieurs millions de migraineux en France et donc un certain nombre sur ce site, je leur dédie fraternellement ce commentaire)

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