Il y a des petits matins sans magie, jai le nez bouché et un point à la gorge, ma vie méchappe (1), il y a des matins où tous les petits sortilèges font la gueule, me glissent entre les mains, tombent à plat. Je les ai faits, ces bocaux de pieds et paquets, avec les dernières tomates, je dis pas que jy ai pas pris un certain plaisir, mais il faut se rendre à lévidence : le contentement nest pas au rendez-vous. Mon âme décureuil sest escapée, cette année je men fiche de faire des réserves, ou pas. Dailleurs cette année, les cueillettes sont piètres : trois malheureuses amandes, pas lombre dun sanguin ni dun petit gris, et le verger abandonné où on avait fait une si belle cueillette de coings il y a deux ans, ben, il est mort : les lichens ont tout dévoré. Plus un fruit.
Je le savais, je le savais, maintenant cest là et va falloir le traverser, voilà : il y a des moments où tout se désenchante.
Jai lâché la main courante, jai perdu fil, il va falloir traverser à tâtons dans le brouillard, je ne sais pas où je vais.
Je lai reçue, au fait, cette carte postale : elle a mis presque trois mois à me parvenir, faut croire que je mégare vraiment, depuis quelques temps. Pour ce qui est du coup de fil, perdu corps et biens : jamais réussi à faire fonctionner ce répondeur, je ne sais pas où se perdent les messages.
« Après tout, tout dépend. Y a quà sintéresser aux choses et les trouver belles.
Si, après tout les choses sont comme elles sont, rien dautre.
Un message cest un message, des assiettes sont des assiettes, les hommes sont des hommes. Et la vie, cest la vie. » (2)
Tout méchappe, tout est très loin. Même la beauté de Séville a gardé ses distances. À peine frôlée. Fugace. Le premier jour je nai cessé de fredonner cette chanson. « Jaimais mieux quand cétait toi » (3). Après, je me suis appliquée. Quelques trucs solides, qui tiennent bon, quoi quil arrive : marcher, marcher, regarder, se laisser envahir dimages, lire Lorca, respirer lodeur du jasmin, du figuier. « Je ne tai donné quun chant périssable
»(4)
Jai paumé mes lunettes de soleil. Pas grand chose, en fin de compte. Cette chanson du film, à cause des lunettes, et « du soleil qui sattarde ». (5)
Après cétait plutôt Brassens : à plus de quatre, on est une bande de cons. Décidément je suis pas sociable. Allergique au collectif. Depuis le temps je devrais le savoir. Peut-être aussi, que je suis pas plus douée pour lamitié que pour lamour.
Jessaie de me mettre au boulot : des tonnes dennui me tombent dessus, des monceaux dinanité, cette vieille sensation de simulacre. Il faut chercher les rares pépites sous les procédures convenues, les allant-de-soi boueux. Je métais promis de ne plus jamais faire semblant. Jai peur du piège, jose pas faire un pas, dans quoi je me suis embarquée ?
Ma boite mail croule sous les pièces jointes, articles, comptes-rendus, programmes, je clique vaguement de ci de là, je reste devant, lil vide ; lheure tourne. Javance pas.
Je vais me démerder pour tout foirer. Faut que je me reprenne. Ça commence à urger. Autrefois ça marchait, ça, fabriquer de lurgence à défaut dintérêt. Croisons les doigts.
«Moi je crois quon est toujours responsable de ce quon fait. Et libre. Je lève la main, je suis responsable [
] Je suis malheureuse, je suis responsable. Je fume une cigarette, je suis responsable. [
] Joublie que je suis responsable, mais je le suis.» (6)
Bah. Je finirai bien par me retrouver. Parfois on peut pas éviter les détours, les retours. Repasser par les chemins usés. Ceux quon croyait derrière soi.
Je fais bouillir de lail et de la sauge, je verse trois gouttes dessence de lavande sur un coton, mon odorat nest pas tout à fait mort, le jour se lève.
1) http://www.youtube.com/watch?v=hlZDIqWHKB4
2) Godard, Vivre sa vie
http://www.dailymotion.com/video/x3qsv1_vivre-sa-vie_shortfilms#rel-page-5
3) Souchon
http://www.youtube.com/watch?v=GHMnck7-aE4
4) Aragon, le figuier
http://www.musicme.com/Louis-Aragon/albums/Anthologie-Poetes-&-Chansons-3700368449585-03.html?play=05
5) http://www.youtube.com/watch?v=iVoGLQiOpfE
6) Godard, idem
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