LA CROISIERE S'AMUSE par Sweethome

Je connaissais John depuis Cambridge. Nous y avons partagé la même chambre, les régates d’aviron, les bals de promo… de joyeux souvenirs de potaches, en ces années où l’avenir nous appartenait. Lorsqu’il m’a proposé de l’accompagner pour un tour du monde en voilier, j’ai accepté enthousiaste, j’adore la mer, les bateaux, l’aventure, j’étais pressé de retrouver la chaleur de notre amitié, évoquer un passé déjà lointain, faire le point sur notre quarantaine, je n’ai pas hésité un instant… Le Maracuja, magnifique yacht, filait à 20 nœuds sur un océan clément. Comme la vie était douce et les bières fraîches. Nous laissions traîner nos lignes en lézardant sur le pont ou restions vautrés sur les canapés en cuir du salon, tout l’équipement étant informatisé et le pilotage automatique. Nous avons gardé deux magnum de champagne pour la Barbade où Ann allait nous rejoindre pour un bout de route marine. J’avais été témoin de son premier mariage mais ne connaissais pas sa seconde épouse. Ce que je ne pouvais pas deviner, c’est que je tomberai immédiatement sous son charme… et que l’ambiance qui s’était installée dans la première partie de la traversée allait vite devenir irrespirable… Ann se montra très sensible à ma présence et exaspérée par celle de son mari dès le premier soir lorsqu’éméché, il cassa une lampe en débouchant le premier magnum. Les jours suivants, il se montra agressif et violent, méconnaissable. Après une journée particulièrement pénible, je m’étais retiré dans ma cabine à l’avant du bateau quand Ann frappa à la porte, affolée : John avait disparu ! C’est grand un yacht de 30 mètres, on en fit le tour plusieurs fois, il n’était nulle part. Nos appels n’eurent aucun effet. Il fallait se rendre à l’évidence, John n’était plus sur le bateau. Est-ce pour nous consoler ou pour arroser sa disparition, nous avons débouché le second magnum et avant de l’avoir vidé, Ann était dans mes bras. Une semaine plus tard, alors que nous devions emprunter le Canal de Panama, nous nous sommes mis en quête des documents du bateau à présenter aux autorités. C’est en les cherchant partout que nous avons ouvert le coffre en teck du carré… Ce coffre masquait le congélateur dont nous n’avions pas eu l’usage, préférant notre pêche. John y dormait d’un sommeil définitif…. Sans doute avait-il choisi cet endroit pour nous espionner librement sans se douter qu’il lui serait impossible de l’ouvrir de l’intérieur….. Ann partage ma vie depuis douze ans…. Nous prenons toujours nos vacances à la montagne.