Et là, en pelletant la neige pour dégager le passage vers la remise, je me suis dit que jétais bien. Que ça va bien, ma vie, et moi dedans. Puisque je me surprends à aimer la neige.
Jai plaisir à la remuer, elle est sèche, légère, et la lumière laiteuse
ah, Jaccottet, forcément.
«
ici, à ma fenêtre de pierre, dans la lumière qui est le lait des dieux, ici, sous la Couronne invisible, en cet instant. »
Ou encore :
« La rivière grossie, troublée ; elle emporte le lait de lhiver. À mesure que la lumière faiblit, les feuilles se clairsèment. »
La neige, jai détesté ça. Cétait le monde envahi dangoisse, de silence étouffant, du raclement sourd des pelles, submergé par un désespoir humide et froid et que rien ne pourrait jamais réchauffer. Depuis lenfance. Et longtemps.
« Sur tout cela maintenant je voudrais
que descende la neige, lentement,
quelle se pose sur les choses tout au long du jour
elle qui parle toujours à voix basse
et quelle fasse le sommeil des graines,
dêtre ainsi protégé, plus patient. »
Rien que ce titre, hein, « à la lumière de lhiver » : qui dit ce quil y a de plus difficile à dire, ce qui émane du concret le plus simple, et quil faut désigner, en silence, dun simple geste.
"Jaurais voulu parler sans images, simplement pousser la porte...
Jai trop de crainte
pour cela, dincertitude, parfois de pitié :
on ne vit pas longtemps comme les oiseaux
dans lévidence du ciel,
et retombé à terre,
on ne voit plus en eux précisément que des images
ou des rêves."
Jaccottet, le geste simple. Le vers sans majuscule. Et la voix, la voix douce et sans lombre dune affèterie. Lautre jour Corinne avait mis en ligne quelques passages dun interview. Ce quil dit, comme il le dit, écouter ça mavait mise en joie.
Ce nest pas triste. Le silence, ni la neige. Ça me plaît, maintenant, cette façon quelle a descamoter les lointains : bruits lointains, perspectives
ne subsiste que le très proche, ce crissement sous ta semelle, le bosquet en face tout poudré, la montée du cimetière, la volée de moineaux dans le potager.
« Limmédiat : cest à cela décidément que je men tiens, comme à la seule leçon qui ait réussi, dans ma vie, à résister au doute. »
Ça me plaît. Cest que la joie est là. (tu sais, jai eu peur quand même quen me quittant tu ne lemportes, jai eu un peu peur de la perdre. Mais non.)
Parfois je ne suis pas très sûre, mais si : la joie de me réveiller et dattendre le jour, tous les jours, et ces petites allégresses qui surgissent sans crier gare, une chanson presque oubliée que jai retrouvée sur la toile, lodeur des gâteaux au four, et cette matinée perdue à fouiller dun poème à lautre oui, Jacottet, mais le délicieux dinternet cest quà la pêche au vers on ségare, on croise Char aussi, Goffette, alors on retourne chercher un bouquin, un autre, on revient, on tombe sur Homère, forcément, et sur Mandelstam (traduit par Jacottet) :
« Les crapauds, telles des billes de mercure,
Forment un globe de leurs voix nouées,
Les rameaux se changent en branches
Et la buée en chimère de lait. »
Non, non, je vais résister à lappel des crapauds, je nirai pas mégarer plus loin, à la recherche dApollinaire, train, crapaud, morsure, une autre fois. Déjà midi.
Le soleil a percé. Soleil dhiver :
« Le flambeau passe à peine plus haut que les tables,
plus fidèle que nul esclave à nos soucis,
taciturne incroyablement inévitable,
et nous autres avec bonheur à sa merci. »
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