La concordance des temps par Jules Félix

On a beau parler de physique quantique, de chat de Schrödinger, de mécanique probabiliste, de relativité générale, de géométrie riemannienne, d’espace spatio-temporel qui fout le camp, s’il y a bien un aspect de mon monde carrément déterministe, c’est bien les quelques jours avant Noël. Périodes qui sont si prévisibles, si agencées dans le calendrier, si cadencées, si logiques, si consécutives, si mécaniques, si prédestinées. Je pourrais le dire pour dans un an, dans dix ans, que sais-je ? dans cinquante ans… Ce sentiment qui étouffe le corps, qui étreint les sens, je m’aperçois que je l’avais déjà décrit… et devinez quoi ? exactement à la même période de l’année, un 22 décembre ! Je ne suis pas chat pour rien. Les habitudes. Les mêmes repères. Les mêmes process. Rien ne se perd… Ici : http://www.pointscommuns.com/lire_commentaire.php?flag=L&id=84391 Oui, mais maintenant que j’ai bien diagnostiqué, docteur, quel est le traitement ? Je sais bien qu’il faudrait déjà m’y prendre plus tôt. Au lieu d’attendre la dernière semaine à aller dans les magasins infernaux, temples absurdes d’une société de consommation démente, telle que tu achètes des trucs et tu les retrouves sur eBay le lendemain de la fête, c’est dire la grosse absurdité du monde. M’y prendre plus tôt, c’est y penser après la Toussaint. Les magasins commencent à peine à se remettre de Halloween (de moins en moins fêté) et préfèrent conserver leur joker du travail le dimanche en décembre. Là, les rayons ne sont peuplés que par le simple consommateur de l’alimentaire ordinaire. Et cela évite aussi d’avoir sous les yeux ces tapis de cadeaux, lots en tout genre avec emballage pour enfants de trois ans, tout normalisés, tout packagés de manière à ce que tu ne cherches plus ce qui ferait vraiment plaisir à ceux qui te sont pourtant chers et qui mériteraient un peu plus de considération que de la facilité décadente. Combien de fois faut-il dire qu’un beau cadeau, ce n’est pas un cadeau coûteux (ça peut l’être) mais avant tout, un cadeau adapté, un cadeau ajusté, personnalisé, qui cible en plein cœur ? Un simple « Je t’aime » est bien plus précieux que toute la bibliothèque d’Alexandrie (enfin, celle qui a cramé). C’est un peu comme dans un enterrement et qu’on doit choisir le modèle de cercueil. T’as le commercial de l’agence, toujours l’air triste alors qu’au fond de lui-même, il est hyper joyeux que tu sois en deuil, il imagine déjà son chiffre d’affaires du mois. Alors, pour t’aider, pour faire pencher du bon côté, il te dit : X mérite quand même bien ça (le "ça", c’est le truc le plus cher, évidemment). Seulement, si tu paies beaucoup, ce n’est pas pour X (X, il s’en moque un peu, d’où il est), c’est pour cet enfoiré des pompes funèbres. S’il arrêtait plutôt la course effrénée de la rotation du monde, ce serait plus utile, franchement. Pour tout le monde. Mais ça n’a rien avec du sapin. Moi, évidemment, mon plus beau cadeau, ce serait du temps. Pas du temps à perdre, pas du temps à passer, pas du temps à essorer, pas du temps à donner au temps. Non, du bon temps. Et du beau temps. Il n’y a rien de beau que la météo de l’âme. Virer ces tempêtes. Virer ces bourrasques. Et bloquer sur l’anticyclone. Oui, c’est cela. Ce qui me ferait le plus plaisir, c’est un anticyclone. Et pas un anticyclone quantique. Un vrai, un réel. Un concret. Un qui se touche, qui se sent, qui se hume. Avec sable chaud, cocotiers, mer turquoise et jolies zautochtones ! (ou sans zautochtone, l’île déserte a aussi son charme).