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On reste bûche bée ! par Jules Félix

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Non, ce titre n’est pas de moi (je l’aurais bien voulu) mais d’une grande chaîne de distribution pour sa publicité de Noël. Petite escapade dans une autre chaîne de grande distribution que j’appellerai pour la suite de l’histoire Hypérette. Nous sommes le jeudi 23 décembre et cette semaine règne une sorte d’odeur de fin de règne. Peut-être les rennes du Père Noël ? Cela sent la semaine sainte. Il est déjà vingt heures quinze et il est temps de se mettre en route. Car ce soir-là, c’est "courses de Noël". Et quand je dis courses de Noël, c’est la totale. Pas seulement les cadeaux (la plupart, heureusement, ont déjà été généreusement acquis), mais le miam miam, car je suis puissance invitante. C’est pratique quand il y a de la neige et pour ne pas faire les bouchons du vendredi ou du samedi, mais c’est qu’il faut quand même préparer quelque chose à miam miamer. J’avais bien pensé aller à Super-Opérette car ils ferment à vingt-deux heures. Mais le temps d’y aller, je n’aurais qu’une petite heure, ce n’est pas génial. Sinon, mon truc habituel, Inter-Lopette, faut même pas y compter, ça ferme à vingt et une heures trente. On se croirait en province ! Je pianote sur mon google-mon-nami et je découvre que le troisième candidat, le moins fréquenté de moi, Hypérette, avait décidé de bousculer ses habitudes : du mercredi au vendredi de cette semaine spéciale, c’est ouvert jusqu’à vingt-trois heures ! Yaoohouu ! Et cerise sur le chapeau : entre vingt et une heures et vingt-trois heures, il y a des périodes de soldes flash, comme ils disent. Je connais les mémoires flash. Bon, le supermarché de la bûche bée ouvre jusqu’à minuit, mais il est trop loin pour imaginer un intérêt quelconque à cette chaîne, si ce n’est ce délicieux jeu de mots. J’arrive donc sur l’immense parking de Hypérette à vingt heures trente-cinq. Ce n’est pas trop loin. Pas de bouchon pour entrer dans les sas, en revanche, pas beaucoup de place, il faut se faufiler vers la voiture qui s’en va. Pour le caddie, là, cela pose problème. Tous les garages à chariots sont vides. Presque. J’en récupère un solitaire. Ouf ! Il a un mauvais parallélisme sur la gauche mais je ferai avec. Comme d’habitude, je vire la publicité installée à l’avant. Comme si je devais véhiculer la crotte commerciale de mon propre chef ! (pourtant, c’est courant). La galerie marchande est quasi-vide. La plupart des boutiques sont fermées à cette heure. Tant mieux. J’entre donc sans encombre dans l’immense grande surface de Hypérette. Je suis accueilli par les caisses de champagnes qui me sourient et les milliers de marrons glacés qui me supplient de les goûter. C’est là que j’ai compris mon erreur : seul machin ouvert à deux jours de Noël à cette heure, toute la population parisienne d’un rayon de trente kilomètres a rappliqué ici. Arg ! L’agoraphobe et le claustrophobe doivent impérativement quitter les lieux. Inutile donc de préciser que les millions de chariots qui s’entassent d’une allée à une autre, avec des consommateurs plutôt souriants mais qui ne font pas gaffe, qui s’arrêtent en plein milieu pour pianoter sur leur smartphone et qui découvrent la énième solde en paralysant le passage créant ainsi des bouchons. Oui, j’étais étonné qu’il n’y eût pas de bouchons sur les bretelles d’autoroute. Les "gens" ne sont pas sur la route, ils sont le long des rayons. Bon, c’est Noël pardi, donc soyons joyeux ! Le mal de dos, le torticolis, le lent dégagement de la migraine, l’asphyxie partielle… toutes ces peines pour un peu de joie future. Et encore ! qui sait si j’aurais survécu à une telle épreuve ? Le plus rigolo est l’esprit grégaire. Le comportement analogue à ceux des bosons (comme celui de Higgs, par exemple). Phénomène de groupe assez impressionnant. Comme le silence ne fait pas vendre, il y a donc un animateur qui hurle sur son micro et devine quoi ? toutes les dix minutes, il y a des soldes flash. Ah, je vais savoir ce que c’est. J’ai en fait tout de suite compris le système grâce à une voisine de chariot ; une adolescente qui expliquait à ses parents qu’il fallait se grouiller d’aller à la direction opposée au lieu des soldes flash. Et elle a raison : au tour du champagne, toutes les allées à cent mètres de rayon furent noires de monde, avec caddies enchevêtrés et sorte de gnoses hirsutes en folie pour ne pas rater la bonne affaire. Oui, surtout, Jules, ne te mets pas au travers du chemin des chercheurs de soldes flash. Surtout, va ailleurs ! Après le champagne, le homard canadien. Quinze euros le kilogramme au lieu de trente, ça vaut le coup, non ? Pendant dix minutes. Enfin, plutôt, quatorze euros quatre-vingt-dix-neuf au lieu de vingt-neuf euros quatre-vingt-dix-neuf. Je m’étais dit au départ qu’il ne fallait pas psychoter, que tout irait bien, qu’il faudrait prendre son temps, aller à son rythme et rester poli (le rester poli étant une règle de savoir-vivre classique). Le problème de Hypérette, c’est qu’ils ont mal managé le succès. Les caisses, les caisses ! Toutes les caisses sont ouvertes, mais il y a des queues interminables partout, avec des caddies remplis à ras bord. Ils auraient pu prévoir au moins deux personnes par caisse, une pour aider à empaqueter, comme à Super-Opérette par exemple. J’avais renoncé à prendre des trucs au rayon surgelé. Le temps de payer, tout serait déjà fondu. Il est déjà vingt-deux heures quarante-cinq. Pour choisir ma caisse, je n’ai pas trop le choix, le pif. Ou l’environnement. Car les queues s’agglutinent le long des rayons perpendiculaires limitrophes (ce qui rend peu aisé l’acquisition de produits localisés à ces endroits). Je décide donc de prendre racine au rayon bébé. Très bien, ça, le rayon bébé. Les belles couleurs de la baignoire de bébé. Vert pomme, bleu foncé, jaune. Pas de rose. Il y a aussi les doudous. C’est dément, ça. Une tête de peluche cousue sur une sorte de mouchoir avec marqué dessus : "doudou". Heureusement que c’est marqué. C’est débile. Pourquoi pas inscrire sur une peluche "peluche". Je serais bébé, je refuserais ce genre de produits qui me prennent pour un débile profond. Puisque j’y suis, j’en profite pour rechercher l’ustensile pour bébé très utile aux dompteurs de chats. Les fermetures de portes de placard ou de frigo. Non, rien dans ces rayons. Dommage. J’attends donc. Je ne vois même pas la caisse car l’un de mes devanciers a misé sur son chariot sur tellement de gros cadeaux pour enfant que toute perspective est bloquée. Bouchée. En revanche, je peux lire, en levant ma tête avec une légère douleur en opérant la torsion du cou (oui, j’ai un torticolis, ai-je dit au début), un écran qui ne cesse d’envoyer des flashs commerciaux et soudain, je lis cette inscription en plein écran : « Hypérette sur le net c’est… www.hyperette.fr/paris l’adresse est sur votre ticket de caisse Encore plus sur : www.hyperette.fr/paris » Je me dis que ceux qui écrivent sur ces écrans soit sont des débiles profonds soit ne se relisent jamais. Pour savoir quelle est l’adresse où tu te trouves, tu dois attendre d’encaisser tes achats, et avec le ticket de caisse, tu pourras avoir l’adresse de là où tu es, ah bravo. Bon ok, ils voulaient parler de l’adresse web. Mais quand même… Donc, j’attends. Plaisamment. À un moment donné, les lumières s’éteignent. Une partie seulement. Il n’est pas encore vingt-trois heures mais à mon avis, il va encore y avoir des heures supplémentaires jusqu’à point d’heure. Car derrière moi, ça n’arrête pas de grandir la file. Je pense aux pauvres caissières, aux pauvres employés qui doivent bosser si tard et probablement pas avec des primes mirobolantes. Puis, je quitte l’embouchure de mon rayon bébé et je découvre la grande allée de toutes les caisses. Je m’aperçois que j’ai une chance faramineuse : la caisse de droite est "prioritaire". C’est impossible de le savoir quand on s’achemine dans l’attente. Et je le remarque car une femme enceinte assez moche me double sur la droite avec son caddie et déboule au niveau du tapis roulant de la caisse prioritaire et commence à dire à ceux qui attendent depuis longtemps qu’elle est prioritaire. C’est sûr, elle est enceinte. Mais moche aussi. Moche visuellement mais aussi psychologiquement. Elle joue la victime, la-celle-qui-n’en-peut-plus (comme tout le monde autour d’elle). L’autre refuse de céder sa place. Grande et harmonieuse femme, elle refuse. L’autre joue encore plus la victime blasée. Du coup, la grande harmonieuse doit sortir sa carte d’invalidité pour lui prouver qu’elle est, elle aussi, prioritaire. Comme si l’autre était la seule prioritaire au monde. Une autre s’amène derrière moi et rejoint la moche en disant qu’elle est, elle aussi, prioritaire. Évidemment, elle est enceinte et ça se voit. Mais dans la longue file de la caisse prioritaire, il y en a d’autres prioritaires qui ont déjà attendu longtemps. Bon, c’est vrai, ce n’est pas très clair. Quand j’arrive au début de ma caisse, j’ai un sursaut de scoutisme. Il est déjà vingt-trois heures et la moche est encore loin du tapis roulant. Peut-être pour montrer qu’on peut être pas-moche moralement, malgré fatigue, mal de dos et épuisement complet, je décide de faire une bonne naction. J’interpelle la deuxième femme enceinte, plutôt gentille (avec son copain) et je lui dis qu’elle peut passer devant moi. Eh oui, j’ai rendu ma caisse plus prioritaire que la caisse prioritaire, héhé. Remerciement et moi, grande chance car le couple n’a qu’un petit panier de cadeaux. J’ai eu peur soudain qu’un gosse arrive les rejoindre avec un caddie à plein. La seconde femme enceinte quitte donc les caisses avant même la moche. Je me dis qu’il y a une petite justice en défaveur des râleuses. Puis, c’est mon tour. J’ai beau demander à l’assistante de caisse (ailleurs, c’est hôtesse de caisse) d’arrêter le tapis roulant de sortie car ça fait rien que m’embêter dans mes rangements, elle n’y peut rien, c’est pas elle qui commande ! Et puis, voici le truc habituel pour faire des heures sup : « Monsieur, vous avez pris un paquet de radis sans code barre ». Aïe ! Me voilà sur le banc des accusés. J’avoue mon forfait. J’ai pris un paquet sans code barre. La terreur. Alors, la méchante juge me propose avec la voix forte cette alternative démente : « Monsieur, vous voulez renoncer à prendre vos radis ou je dois appeler quelqu’un pour chercher le prix ». Je regarde autour de moi, plein de regards inquiets et angoissés sur ma décision imminente. Je sens les projecteurs se braquer sur moi et le roulement de tambour assourdissant m’imposer la pression de la bonne décision. Je poursuis le jeu ou j’arrête là ? L’enjeu est important. Tout, dans ma tête, se déroule à grande vitesse. Les radis. J’avais besoin des radis. Je voulais des radis pour Noël. Des petits radis, tout ronds. Tout beaux. À côté de ces petits boudins blancs. De ces tomates lilliputiennes. De ces mini-carottes. Cela aurait fait bien. Le silence s’installe. Vite, il faut décider. Attendre un quart d’heure supplémentaire pour savoir que mon paquet de radis vaut un euro trente-trois, soit à peu près 0,4% du chiffre d’affaires que je m’apprête à rajouter sur leurs comptes. Ou alors, faire mon deuil de ces délicats radis roses, avec cette pensée émue qu’ils finiront sans doute dans la benne à ordures de Hypérette demain matin car on aura oublié de les remettre à leur rayon cette nuit. J’opte pour le lâche abandon des radis. La musique m’annonce que j’ai gagnnnné ! Tout le monde applaudit, la foule est en liesse. J’ai répondu la bonne réponse. La gloire, la lumière, je suis désormais une star, à tel point qu’on me demande un autographe (« Signez-là, Monsieur »). Il est vingt-trois heures treize. Je suis enfin sorti des griffes de ce géant de la distribution. De ce temple de la nouvelle religion. Je ne suis pas le dernier. Les files continuent à s’agrandir. Cela ira jusqu’à minuit au moins, je me dis. Pauvres hôtesses de caisse. Non seulement elles bossent très tardivement (et plutôt efficacement). Avec peu de sourires dans leur environnement de travail proche (plutôt des grimaces fatiguées). Mais en plus, elles, elles n’ont pas encore fait leurs courses de Noël !… Les pauuuuuvres !

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