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Tant que la vigne pousse, pousse, pousse, Je ne dormirai plus! par Machja

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Tout a été dit sur le style de Colette. Tout a été dit et pourtant j'ai envie de parler de ce plaisir -de cette émotion!- qui me saisit à chaque lecture de cette courte nouvelle intitulée "Les vrilles de la vigne". Pourquoi celle-là particulièrement? Bien sûr, on y retrouve les caractéristiques du style de Colette, et notamment sa capacité à nous faire pénétrer dans l'intimité de la nature dont elle nous dévoile les secrets avec tendresse et humour. L'attention qu'elle porte au vivant, animal ou végétal, révèle des détails qui échappent à la plupart d'entre nous, pauvres urbains: qui sait encore que "les vignes en fleur sentent le réséda" ou que "les vrilles de la vigne, cassantes et tenaces, [ont une] acidité d'oseille fraîche [qui] irrite et désaltère"? Toujours cette manière d'appréhender le monde par les sens, ce frémissement communicatif, cette intelligence de la vie, cette clarté de la langue qui nous permet de partager ses émois... Mais ce sont des constantes chez Colette. Alors, pourquoi ce texte, "Les vrilles de la vigne", a-t-il un tel pouvoir sur moi? Peut-être à cause du rossignol, et de ce qu'il nous dit de nous... Et puis tant pis, je ne résiste pas, je livre le texte entier à votre gourmandise. "Autrefois, le rossignol ne chantait pas la nuit. Il avait un gentil filet de voix et s'en servait avec adresse du matin au soir, le printemps venu. Il se levait avec les camarades, dans l'aube grise et bleue, et leur éveil effarouché secouait les hannetons endormis à l'envers des feuilles de lilas. Il se couchait sur le coup de sept heures, sept heures et demie, n'importe où, souvent dans les vignes en fleur qui sentent le réséda, et ne faisait qu'un somme jusqu'au lendemain. Une nuit de printemps, le rossignol dormait debout sur un jeune sarment, le jabot en boule et la tête inclinée, comme avec un gracieux torticolis. Pendant son sommeil, les cornes de la vigne, ces vrilles cassantes et tenaces, dont l'acidité d'oseille fraîche irrite et désaltère, les vrilles de la vigne poussèrent si drues, cette nuit là, que le rossignol s'éveilla ligoté, les pattes empêtrées de liens fourchus, les ailes impuissantes... Il crut mourir, se débattit, ne s'évada qu'au prix de mille peines et de tout le printemps se jura de ne plus dormir, tant que les vrilles de la vigne pousseraient. Dès la nuit suivante, il chanta pour se tenir éveillé: "Tant que la vigne pousse, pousse, pousse, je ne dormirai plus! Tant que la vigne pousse, pousse, pousse..." Il varia son thème, l'enguirlanda de vocalises, s'éprit de sa voix, devint ce chanteur éperdu, enivré et haletant qu'on écoute avec le désir insupportable de la voir chanter. J'ai vu chanter un rossignol sous la lune, un rossignol libre et qui ne se savait pas épié. Il s'interrompt parfois, le col penché, comme pour écouter en lui le prolongement d'une note éteinte... Puis il reprend de toute sa force, gonflé, la gorge renversée, avec un air d'amoureux désespoir. Il chante pour chanter, il chante de si belles choses qu'il ne sait plus ce qu'elles veulent dire. Mais moi j'entends encore à travers les notes d'or, les sons de flûte grave, les trilles tremblés et cristallins, les cris purs et vigoureux, j'entends encore le premier chant naïf et effrayé du rossignol pris aux vrilles de la vigne... "Tant que la vigne pousse, pousse, pousse..." Cassantes, tenaces, les vrilles d'une vigne amère m'avaient liée, tandis que dans mon printemps je dormais d'un somme heureux et sans défiance. Mais j'ai rompu, d'un sursaut effrayé, tous ces fils tors qui déjà tenaient à ma chair et j'ai fui... Quand la torpeur d'une nouvelle nuit de miel a pesé sur mes paupières, j'ai craint les vrilles de la vigne et j'ai jeté tout haut une plainte qui m'a révélé ma voix!... Toute seule éveillée dans la nuit, je regarde à présent monter devant moi l'astre voluptueux et morose... Pour me défendre de retomber dans l'heureux sommeil, dans le printemps menteur où fleurit la vigne crochue, j'écoute le son de ma voix... Parfois je crie fiévreusement ce qu'on a coutume de taire, ce qui se chuchote très bas,-puis ma voix languit jusqu'au murmure parce que je n'ose poursuivre... Je voudrais dire, dire, dire tout ce que je sais, tout ce que je pense, tout ce que je devine, tout ce qui m'enchante et me blesse et m'étonne; mais il y a toujours, vers l'aube de cette nuit sonore, une sage main fraîche qui se pose sur ma bouche... Et mon cri, qui s'exaltait, redescend au verbiage modéré, à la volubilité de l'enfant qui parle haut pour se rassurer et s'étourdir... Je ne connais plus le somme heureux, mais je ne crains plus les vignes de la vigne..."

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