Elle est bien là...
Barque de pierre à la dérive d'un océan d'herbes folles
Lentement elle s'approche.
Comme pour mieux savourer l'instant.
Délicatement, du bout de l'ongle elle suit le sillon que le burin a laissé dans le granit. Il y a tellement longtemps.
Plus d'un demi-siècle.
Ses doigts ne sont plus que des racines cherchant à s'enfouir profondément dans le roc. Plus loin.
Plus près de ceux qui l'attendent depuis tant d'années
Religieusement elle poursuit sa course sur la pierre. Épouse la rugosité des noms et prénoms gravés dans la dalle.
De la pulpe des doigts elle se fraye un chemin au milieu de ce trésor indicible que le destin vient de placer sur sa route; Sa famille...
Un bonheur irraisonné l'envahit.
Absolu.
Les montagnes de questions qui la hantaient depuis si longtemps s'évanouissent. Les angoisses, les doutes glissent lentement de ses épaules. Comme la triste enveloppe d'un hiver interminable qui s'éloigne enfin.
Le temps a pris soin de fleurir la sépulture de lichens délavés. Autant de taches que d'années d'errances. Un peu comme ces roses qui s'épanouissent pour l'éternité sur les photos de famille.
Un sépia de souvenirs absents.
Depuis ses tous premiers pas, elle la cherchait déjà sa famille...
De père inconnu. De mère inconnue.
On lui martelait ça en la poussant de famille d'accueil en maison de placement.
Ses recherches ont fini par payer. Bien sur elle n'est plus toute jeune. Même que le bout du chemin n'est plus très loin.
Mais il n'y a pas d'âge pour exister.
Tendrement elle place sa paume sur son identité retrouvée. S'en imprime le cur pour les siècles à venir.
Le maigre soleil d'hiver allume quelques éclats sur la mousse humide.
Riche de son passé délivré, trimballant sur ses talons des générations d'ancêtres bruyants, elle s'éloigne en faisant crisser le gravier du cimetière...
Se sentir enfin vivante dans la pureté de l'air.
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