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Chronique du clocher mitoyen* par Coucou c est ginou

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Faut changer le mécanisme, ils ont répondu tous les trois comme un seul homme par retour du courrier. Trois mille euros pour le devis le moins cher, c'est pas dans nos moyens. La maire proposait donc qu'on revienne sur l'accord péniblement conclu l'an dernier — trois quatre heures de palabres très vénères, avec drame, menaces, mauvaise foi, retenez-moi-ou-je-fais-un malheur, pour aboutir à ce qui semblait pouvoir calmer les pro-cloches comme les anti : on allait trouver moyen d'étouffer un peu le son, et on sonnerait plus que trois fois par jour, matin (7 heures ? 8 Heures ? Rien que ça l'avait bien fallu au moins une demie heure pour trancher. 8.) midi et soir (8 itou). On était sortis épuisés mais soulagés de la réunion du conseil. Fausse joie : deux mois plus tard un agressif chercheur de poux demandait des comptes à la mairie, que si elle voulait pas mettre en œuvre la décision prise le tant, et consignée dans le compte rendu du tant, eh bien qu'elle le dise, au lieu de tergiverser et de prétexter des problèmes techniques, et si c'était comme ça alors on n'avait qu'à faire un référendum, on verrait bien qui veut quoi c'est ça la démocratie non? Non. Ce soir-là j'avoue j'ai pété un cable : démagoooooo ! Ils commençaient à me niffler grave, les c'est-trop-triste-un-village-sans-cloche. T'inquiète, va, pour ce qui est des cloches on en a quelques unes… Pourtant au début j'étais pas particulièrement remontée, même si, je vous jure que cette cloche de cathédrale (très beau son, au demeurant) fichée sur un clocher de chapelle de campagne à deux pas de la maison, quand ça se met en branle, ça décoiffe le neurone : crapouillette a l'œil qui tourne dans une orbite en pleine explosion, elle part comme une dératée elle sait pas où n'importe mais fuir, FUIIIIR ! Et surtout, surtout, le clebs du voisin hurle à la mort. Une minute environ au bord du craquage de cordes vocales pour chaque coup de bourdon, si tu fais le compte des heures demie heures quarts d'heure et de la joyeuse volée qui introduit le truc à chaque fois, le pauvre, et pauvres de nous. Ce que j'ai pas aimé, c'est cette idée de la démocratie que certains trimballent : selon quoi une douzaine de nostalgiques de nos campagnes d'antan (dont une bonne moitié de résidences secondaires qui viennent trois fois l'an prendre un bain de pittoresque, et l'autre moitié vivant à distance respectable de la nuisance) peuvent sous couvert de majorité pourrir le quotidien de six résidents à l'année quasi mitoyens du clocher, soit un homme, deux femmes, un chien, un chat et un cheval. Bon, bref. La question du clocher était passée à l'arrière plan : l'agressif chercheur de poux avait trouvé une embrouille bien plus intéressante, un os à ronger où ça saignait plus fort, une occasion inespérée de pouvoir vraiment empêcher quelqu'un de vivre, de travailler (les agriculteurs c'est sale et ça amène des mouches), et de se loger (les yourtes c'est pas bon pour l'image du village et d'abord c'est pas permis et s'il faut y a qu'à voter une interdiction de camping). On a frôlé l'étripage généralisé, gueulantes, alliances improbables** et révocables, diffamations, courriers et jeux d'influence, démissions, élections, et toutes sortes de pièges à cons. Je vous en ai transmis quelques échos, largement amortis par la distance et ma bonne humeur naturelle, ou disons que lorsque c'est vraiment trop moche l'humanité, quand ça fout les jetons la haine, l'envie, l'égoïsme, la délation, toussa toussa, quand ça me fout au trente sixième dessous j'écris pas, je regarde des séries connes à la télé et j'attends que ça passe. Ça passe, semble-t-il. Au bout d'un moment tout le monde (ou presque) en a marre de cette ambiance pourrie, ou de l'ironie de ceux du milieu du monde : "alors, vous vous êtes pas encore entretués au bout-du-monde-des-alpes-litrophes ?" ou encore : "z'avez réussi à vous trouver un maire ? Z'allez le garder un peu, çuilà ? Il carbure au rosé, aussi ?" Ou même : "Y en a trop, d'emploi, chez vous, que vous trouvez malin d'empêcher les gens de bosser ?" Comme on dit dans les alpes litrophes, ça marque mal, toussa. Et l'alpin, à force, quand ça marque mal, il réfléchit. Puis quand même au bout d'un moment il se sent un peu mal à l'aise, quand il voit que somme tout la semeuse de mouches (imaginaires, de surcroît), elle est tout de même drôlement entourée, appréciée, et qu'on est plutôt nombreux à lui filer un coup de main pour que ça soit pas trop galère, son installation. Bon, bref. Une intense réflexion philosophique, les limites de la théorie girardienne, le charme des petits chevreaux contrebalançant la jouissance cathartique de la bouc-émissarisation, les poulets qui sont quand même drôlement bons, le regret de pas participer aux chantiers de voisinage et aux gueuletons qui vont avec, les lois qui tout de même sont particulièrement pas claires, la préfecture qui fait un peu machine arrière, l'agressif chercheur de poux qui finit par faire chier tout le monde… Ça a fini par se tasser. Mais rêvons pas : la vie dans les alpes litrophes n'est pas un long torrent tranquille, l'ennui peut pousser aux extrêmes (ils connaissent pas tous les sites de cul, les pôvres). C'est le dégel, il pleut des cailloux dans les gorges, les journées rallongent mais il fait encore un froid de loup, le conflit avec la société de chasse du village voisin pourrait offrir du sport, mais brutal et à l'issue incertaine…. On pourrait ressortir l'affaire des cloches ?... Maire dans un bout du monde moins peuplé qu'une maison de retraite familiale ou un appartement thérapeutique, c'est un apostolat : t'en as toujours un pour venir te tanner pour que tu changes le POS, que tu sévisses sur les crottes de chiens, que tu te décides à remettre la cloche en marche. C'était donc à l'ordre de jour : mais pétard, 3000 euros quand la moitié de la trésorerie va s'engouffrer dans l'aménagement du pluvial… on fait quoi pour remplir les caisses ? Pour les calendriers à poil, la moyenne d'âge nous situe pas vraiment dans le créneau porteur… Mais en politique, surtout en politique de proximité, y a des miracles. Faut pas cracher sur le miracle de proximité. Et fichtre, qu'ils étaient mignons, les gars du village, ce matin, réunis autour du clocher! Échelle, rappel, palabres, mesure des décibels — 80, quand même, le bruit d'une tronçonneuse, t'imagines s'il faut se coller des protections auditives tous les quart d'heure ou se les faire implanter, on n'est pas des humanoïdes quand même. Surtout que, sur bruit de fond de bout-du-monde, le contraste a de quoi vous secouer le système sympathique. Ah oui, z'étaient beaux comme une compagnie de pompiers affairés sur un feu de cheminée au milieu de la nuit. Là, c'était l'heure de l'apéro, faisait un temps de printemps, et ils ont fini par trouver le truc, le truc simple, qui coûte pas un rond et qui bouffe 10 décibels, et dans les aigus, encore, les pires, ceux qui t'arrachent à proximité et s'entendent même pas de loin. Je vous dévoile pas le truc : y a des ambitions de brevetage, tu parles si c'est crédible… mais bon, j'aime autant pas les brusquer. J'ai bien essayé d'introduire le concept d'open source, mais c'est peut-être un peu neuf, là. En tout cas, ça marche : le chien a juste poussé pour la forme une gueulante de pas-convivial qu'on dérange, mais sans s'arracher le larynx, et deux trois injures canines, pour dire. Ouf !!! Crapouillette a même pas levé une paupière. Tu t'imagines pas comme on était jouasses. Dans la foulée on a décidé d'aménager le terrain de pétanque à côté de l'église, au lieu de squatter le parking, on va faire ça entre voisins, un genre de corvée volontaire, si tu peux saisir le concept. C'est un peu local, mais à mon avis ça a de l'avenir. *donc, litrophe. C'est pour changer un peu. ** alors là Tché tu peux rien dire, c'est le terme idoine *** en plus de la frontale greffée, voir épisode précédent.

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