Lise, il était bien doux le petit baiser avec lequel tu mas réveillé ce matin avant de partir vers la gare mais je narrête pas de penser à la petite phrase qui la suivi « essaie dêtre plus drôle le week-end prochain, sinon je finirai par aller rire ailleurs ! ».
Cest vrai que je suis préoccupé en ce moment, la situation nest pas simple quand on tombe amoureux sur un site de rencontres et quon habite à cinq cent kilomètres lun de lautre.
Mais le fond du problème, ce qui fait que je tiens de moins en moins du gai luron, cest mon travail denseignant et ce pari difficile de faire aimer la langue française et la littérature à des jeunes qui ne lisent plus aucun livre et nécrivent que des SMS.
En lisant ce qui suit tu vas mieux comprendre. Pour mon dernier devoir, je voulais sortir du programme imposé et javais demandé aux élèves de prendre un roman français ou étranger de leur choix et dexpliquer en quoi il leur avait plu. Il y a belle lurette que je ne me fais plus dillusions et je sais que pour la plupart ils se sont contentés daller chercher le résumé dun livre quils nont jamais lu sur Wikipédia pour faire leur commentaire.
Quoi quil en soit voici ce que jai trouvé au hasard des copies corrigées ce matin, dont heureusement certaines m'ont agréablement surpris.
Le jeune Thomas, qui est de loin lélément le plus engagé politiquement de sa classe, a choisi Germinal et sest lancé dans une diatribe assez simpliste sur linjustice sociale avant de rendre un bel hommage à Zola en le qualifiant de grand écrivain « naturiste ». De quoi faire se retourner dans sa tombe notre gloire du roman naturaliste !
Par ailleurs une dénommée Camille minforme de sa passion pour les romans russes et plus particulièrement pour Dostoïevski. Elle se contente de résumer avec platitude Crime et châtiment en soulignant que le héros, Raskolnikov, est « bourrelet » de remords. A tout prendre je crois que jaurais encore préféré un bourré plus trivial mais correctement accordé.
La très jolie Manon qui rêve dêtre ma Lolita si jen crois les regards langoureux quelle me lance à longueur de cours a élu le roman du même nom et, ignorant sans doute le terme nymphe, me décrit abondamment les tourments de lhomme mûr amoureux dune « lymphe ».
Jhésite encore entre la consternation et le rire.
Pour finir, last but not least comme disent les Anglais, un certain Kevin me fait part de son enthousiasme pour lAdieu aux armes dHemingway et déplore le suicide de lauteur malgré l « aréole » de gloire que lui avait valu le prix Nobel. Inutile de te dire que je décerne à ce Kevin le bonnet dâne pour toute auréole.
Lise tu me voulais drôle, jespère avoir réussi à te faire sourire avec mes perles de potaches.
Il ne faut pas se décourager, tout sarrangera lorsque jaurai obtenu ma mutation et que nous vivrons vraiment ensemble.
A samedi mon amour...
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