Quand je te quitte le matin, tu dors encore profondément. Il n'y a rien de plus joli qu'un visage qui se love à moitié dans l'oreiller. Comme un camée, ton profil caché creuse un fond d'ivoire et ton corps à moitié immergé semble naviguer dans une écume de drapé qui se soulève à chacune de tes respirations et j'en suis à me dire que tu flottes ailleurs, loin de notre caverne, loin des chiens enragés qui te mordent les reins. Tes cils vibrent comme balayés par un léger vent contraire, est-ce mon souffle qu'ils repoussent ou une chimère? Chacune des nervures qui irriguent tes paupières, semble tirer des fils de couleur, du bleuté au rosé, sans jamais trahir la teinte de ton invisible monde intérieur, enfermé sous un volet pommé. Un corps abandonné au ventre échoué, indifférent au regard extérieur, comme une conque obturée qui ne laisse rien passer de fête ou tempête, l'une peut-être se trame en sa nef. Dans ta rêverie solitaire dont tu ne maîtrises rien, tu as une main repliée sur tes cheveux comme si elle retenait ta tête de plonger et te noyer, l'autre pose sur le rocher de ta hanche comme une coquette, laissant paraître son bombé entre deux doigts, les cuisses d'une poupée. La longe de tes rêves traine derrière tes destriers sans que rien, ni personne n'arrive à interrompre sa traversée. Un genou en saillie, comme dame de nage, auquel se suspend une rame inutile, ton pied fend l'eau du drap et des langues gonflées d'air lèchent le gras de ton mollet. Tes muscles amollis reposent comme des poches pleines et replètes, ils jouent la bonhommie d'une partie de campagne, des panses rassasiées de tranquillité, avachies dans l'herbe tendre. Parfois un spasme, une léger tremblement court le long de tes lèvres comme des fantômes de mots en courant d'air, leurs traces s'effacent dans les plis rose bistré aussi vite qu'une vague nettoie une empreinte de pas dans le sable.
Je pose la pulpe de mon index sur tes lèvres et resserre instinctivement les miennes en un chut mimé. Je dois cesser de me promener sur ton corps dénudé, le temps me presse autant qu'il n'a de prise sur ton sommeil. J'éteins la petite lumière à ton chevet. Dehors la neige m'enserre comme les morsures d'un manteau déchiqueté, les flocons viennent mourir sur mes cils et dans leur incinération ils me brûlent les yeux pour cautériser des images comme des plaies. Du plus joli des rêves, on se réveille. N'en déplaise aux boudons, rares sont les abeilles reines.
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